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  • LE DEVOIR
    Mon devoir, c'est ce que je dois faire, que cela me plaise ou non. Nos devoirs semblent donc être autant d'entraves imposées par la société : ils sont peut-être nécessaires à la vie en commun, mais ils limitent notre liberté. La question cependant est de savoir si le devoir peut effectivement être pensé comme une contrainte.

    1. Est-il sage de ne pas faire son devoir ?
    Quand ce que me dicte mon devoir contredit mes intérêts, ne serait-il pas plus sage de désobéir ? Ne pas être injuste est un devoir ; mais est-il sage d'être juste, si l'injustice est à mon avantage ? Dans le Gorgias, Calliclès affirme, contre Socrate, qu'il vaut mieux commettre l'injustice que la subir. C'est pour Platon une erreur de jugement : celui qui décide d'être injuste ne le fait jamais à son avantage, parce qu'il se laisse emporter par ses désirs et ne prend pas assez soin de son âme. Selon les Stoïciens, l'insensé est celui qui trouble l'ordre du monde en ne voulant pas ce qu'il faut vouloir. Le sage stoïcien ne veut pas changer ce qui ne dépend pas de lui ; ce qui dépend de lui, c'est ne pas laisser les désirs corrompre sa volonté. C'est l'insensé qui agit en se laissant guider par les désirs : comme ceux-ci sont illimités, il court à sa perte.

    2. Qu'est-ce qui détermine ce que je dois faire ?

    La réponse la plus simple serait : la société. On peut en effet constater que les notions de bien, de mal, de devoir, varient d'une société à l'autre, d'une époque à l'autre : le parricide, crime odieux chez les Romains, était un acte recommandé dans certaines peuplades. C'est donc la société qui détermine ce qu'il est bien de faire : est bon, ce qui est utile à la communauté ; est mal, ce qui lui est nuisible. Telle est du moins la thèse des utilitaristes anglais comme Jeremy Bentham : une société détermine comme devoirs les actions favorables au bonheur du plus grand nombre. Or, les actions qui sont avantageuses pour le plus grand nombre le sont aussi pour l'individu qui agit : le seul véritable fondement de la morale, ce n'est pas le devoir, c'est l'égoïsme bien compris (en agissant pour le bonheur de tous, j'agis aussi pour mon propre bonheur).

    3. La réponse utilitariste est-elle satisfaisante ?

    Cette thèse confond l'utile et le moral, ce qui est problématique : comme l’affirme Emmanuel Kant, il est parfois utile de mentir, mais ce n'est jamais un acte moral. Surtout, ce qui détermine la valeur morale d'une action, ce ne sont pas ses effets (par exemple sur la société), mais l'intention elle-même : si mon intention était purement égoïste, mon action ne sera jamais morale, même si elle a eu des conséquences utiles pour autrui. Une action est morale quand ma volonté s'est déterminée eu égard à la seule raison, et non par rapport à la sensibilité. Selon Kant en effet, je ne décide pas de mes désirs sensibles : une volonté déterminée par les désirs n'est donc plus une volonté libre. Être libre, c'est faire ce que la raison me dicte, c'est-à-dire mon devoir ; la question cependant est de savoir en quoi ce devoir consiste.

    4. Qu'est-ce que faire mon devoir ?

    Mon devoir, c'est de faire ce que la loi morale commande avant de chercher à satisfaire mes désirs et mes intérêts. Le devoir n'a donc rien de plaisant ou d'agréable ; plus même, si je fais mon devoir parce que j'y prends du plaisir, mon action ne sera pas véritablement morale (car c'est par plaisir que j'aurai agi, et non par devoir). Ainsi, si je dis la vérité, mais que je le fais par intérêt, mon action sera certes conforme au devoir, mais pas faite par devoir : elle n'aura aucune valeur morale. Mais alors, qu'est-ce que m'ordonne de suivre ma raison ? Pour que mon action soit morale, il faut que la maxime de mon action (son intention) puisse être universalisée sans contradiction. Puis-je vouloir un monde où tous mentiraient tout le temps sans contradiction ? Si la réponse est négative, c'est que mentir n'est pas un acte moral. C'est précisément parce que je suis un être libre, toujours tenté de faire passer ses intérêts et ses désirs avant mon devoir, que ce dernier prend pour moi la forme d'un impératif catégorique : ce que la raison exige, c'est que j'agisse par devoir, c'est-à-dire par pur respect pour le commandement moral, sans aucune considération de mes intérêts.

    5. Le devoir n'est-il alors qu'une contrainte ?

    Le devoir ne me contraint pas à me soumettre : il m'oblige à obéir, et c'est bien différent. J'obéis à la loi morale, parce que je sais qu'elle est juste, alors que je me soumets à un bandit qui me menace de son arme. Le bandit me contraint en usant de sa force ; le devoir m'oblige. Dans le cas du voleur, je me soumets à une force extérieure à moi qui me prive de ma liberté ; dans le cas du devoir, je reconnais la légitimité du commandement moral qui me libère de la tyrannie de mes désirs et me hausse jusqu'à l'universel.

    La citation
    « Je dois toujours agir de telle sorte que je puisse aussi vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. »

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