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LE DEVOIR
Mon devoir, c'est ce que je dois faire, que cela me
plaise ou non. Nos devoirs semblent donc être autant d'entraves imposées par la
société : ils sont peut-être nécessaires à la vie en commun, mais ils limitent
notre liberté. La question cependant est de savoir si le devoir peut
effectivement être pensé comme une contrainte.
1. Est-il sage de ne pas faire son devoir ? |
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2. Qu'est-ce qui détermine ce que je dois faire ? La réponse la plus simple serait : la société. On
peut en effet constater que les notions de bien, de mal, de devoir, varient
d'une société à l'autre, d'une époque à l'autre : le parricide, crime odieux
chez les Romains, était un acte recommandé dans certaines peuplades. C'est donc
la société qui détermine ce qu'il est bien de faire : est bon, ce qui est utile
à la communauté ; est mal, ce qui lui est nuisible. Telle est du moins la thèse
des utilitaristes anglais comme Jeremy Bentham : une société
détermine comme devoirs les actions favorables au bonheur du plus grand nombre.
Or, les actions qui sont avantageuses pour le plus grand nombre le sont aussi
pour l'individu qui agit : le seul véritable fondement de la morale, ce n'est
pas le devoir, c'est l'égoïsme bien compris (en agissant pour le bonheur
de tous, j'agis aussi pour mon propre bonheur).
3. La réponse utilitariste est-elle satisfaisante ? Cette thèse confond l'utile et le moral,
ce qui est problématique : comme l’affirme Emmanuel Kant, il est
parfois utile de mentir, mais ce n'est jamais un acte moral. Surtout, ce qui
détermine la valeur morale d'une action, ce ne sont pas ses effets (par
exemple sur la société), mais l'intention elle-même : si mon intention
était purement égoïste, mon action ne sera jamais morale, même si elle a eu des
conséquences utiles pour autrui. Une action est morale quand ma volonté s'est
déterminée eu égard à la seule raison, et non par rapport à la sensibilité.
Selon Kant en effet, je ne décide pas de mes désirs sensibles : une volonté
déterminée par les désirs n'est donc plus une volonté libre. Être libre, c'est
faire ce que la raison me dicte, c'est-à-dire mon devoir ; la question
cependant est de savoir en quoi ce devoir consiste.
4. Qu'est-ce que faire mon devoir ? Mon devoir, c'est de faire ce que la loi morale
commande avant de chercher à satisfaire mes désirs et mes intérêts. Le devoir
n'a donc rien de plaisant ou d'agréable ; plus même, si je fais mon devoir parce
que j'y prends du plaisir, mon action ne sera pas véritablement morale (car
c'est par plaisir que j'aurai agi, et non par devoir). Ainsi, si je dis la
vérité, mais que je le fais par intérêt, mon action sera certes conforme au
devoir, mais pas faite par devoir : elle n'aura aucune valeur morale. Mais
alors, qu'est-ce que m'ordonne de suivre ma raison ? Pour que mon action soit
morale, il faut que la maxime de mon action (son intention) puisse être
universalisée sans contradiction. Puis-je vouloir un monde où tous
mentiraient tout le temps sans contradiction ? Si la réponse est négative, c'est
que mentir n'est pas un acte moral. C'est précisément parce que je suis un être
libre, toujours tenté de faire passer ses intérêts et ses désirs avant mon
devoir, que ce dernier prend pour moi la forme d'un impératif
catégorique : ce que la raison exige, c'est que j'agisse par devoir,
c'est-à-dire par pur respect pour le commandement moral, sans aucune
considération de mes intérêts.
5. Le devoir n'est-il alors qu'une contrainte ? Le devoir ne me contraint pas à me soumettre : il
m'oblige à obéir, et c'est bien différent. J'obéis à la loi morale, parce
que je sais qu'elle est juste, alors que je me soumets à un bandit qui me menace
de son arme. Le bandit me contraint en usant de sa force ; le devoir m'oblige.
Dans le cas du voleur, je me soumets à une force extérieure à moi qui me prive
de ma liberté ; dans le cas du devoir, je reconnais la légitimité du
commandement moral qui me libère de la tyrannie de mes désirs et me
hausse jusqu'à l'universel.
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