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  • LE DESIR

    Nous éprouvons sans cesse des désirs : que le désir vise un objet déterminé (une belle voiture) ou un état diffus et général (le bonheur), désirer semble faire corps avec l'élan même de la vie qui sans cesse nous entraîne au-delà de nous-mêmes, vers les objets extérieurs pour nous les approprier, ou vers ce que nous voudrions être mais que nous ne sommes pas.

    1. Le désir est-il essentiel pour comprendre ce qu'est l'homme ?

    Si Baruch Spinoza a pu faire du désir l'essence même de l'homme, c'est que désirer n'est pas un phénomène accidentel, mais bien le signe de notre condition humaine.

    C'est d'abord le signe d'un manque : on ne désire que ce que l'on n'a pas. Il y aurait au cœur de l'homme une absence de plénitude et un inachèvement qui aspireraient à se combler et qui seraient à l'origine de la dynamique même de l'existence.

    2. Peut-on identifier désir et besoin ?

    Le besoin caractérise l'état de l'organisme lorsqu'il est privé de ce qui assure son fonctionnement : on distingue le besoin vital (boire et manger), qui concerne la conservation de l'individu, et le besoin sexuel, qui assure la survie de l'espèce.

    S'ajoutent à ces besoins physiologiques les besoins dits « artificiels », créés par la société. Dans les deux cas, le besoin trouve son assouvissement dans un objet qui lui préexiste et le complète. Il en va autrement du désir : il n'a pas d'objet qui lui soit par avance assigné. Quand je désire être heureux, suis-je capable de définir précisément ce que j'attends ? L'objet du désir est indéterminé.

    3. Le désir peut-il être pleinement satisfait ?

    Dans le désir, il n'est pas dit que j'aspire vraiment à une satisfaction qui fasse disparaître tout désir. Le désir est contradictoire car il veut et ne veut pas être satisfait : que serait, en effet, une vie sans désir, si ce n'est une vie morte ?

    Par ailleurs, le désir sent confusément qu'aucun objet n'est à même de le satisfaire pleinement. C'est pourquoi, à la différence du besoin, il est illimité, insatiable et sans cesse guetté par la démesure, comme le montre Platon dans le Gorgias quand il compare l'homme qui désire à un tonneau percé qui ne peut jamais être rempli.

    Selon Arthur Schopenhauer, la vie d'un être de désir est donc comme un pendule qui oscille entre la souffrance (quand le désir n'est pas satisfait, et que le manque se fait douloureusement sentir) et l'ennui (quand le désir est provisoirement satisfait).

    4. Le désir est-il par essence violent ?

    Dans le Léviathan, Thomas Hobbes montre que le comportement humain est une perpétuelle marche en avant du désir. Sitôt satisfait, il se porte sur un autre objet, et ainsi de suite à l'infini ; mais comme les objets désirables ne sont pas en nombre illimité, mon désir se heurte tôt ou tard au désir d'autrui.

    Les autres deviennent non pas seulement des concurrents, mais bien des adversaires, car le meilleur moyen d'empêcher le désir de l'autre de me barrer la route est de tuer l'ennemi. Parce qu'il est un être de désir, l'homme naturel est nécessairement violent : il faut un État pour faire cesser « la guerre de tous contre tous ».

    5. Tout désir est-il désir de pouvoir ?

    Dans le Traité de la nature humaine, Thomas Hobbes va plus loin. Je ne désire un objet que parce qu'un autre le désire aussi : ce que je désire, ce n'est pas l'objet lui-même, c'est en priver autrui pour le forcer à reconnaître que je peux obtenir ce qu'il se voit refusé. Tout désir aspire à obtenir de l'autre l'aveu du pouvoir, c'est-à-dire « l'honneur ». Tout désir, en tant qu'il vise avant tout à l'humiliation de l'autre, est désir de pouvoir.
    En d'autres termes, je ne désire que médiatement ou indirectement un objet : ce que je désire immédiatement, c'est affirmer ma supériorité sur autrui ; la possession de l'objet n'est ici qu'un moyen.

    6. Faut-il chercher à maîtriser ses désirs ?

    Si le désir est insatiable, il risque d'entraîner l'homme dans des excès et de faire son malheur. Les sagesses antiques préconisaient ainsi une discipline des désirs. L'homme est malheureux parce qu'il désire trop et mal. Apprendre à désirer seulement ce que l'on peut atteindre, en restant dans les bornes du raisonnable, telle est la morale stoïcienne.
    S'arracher à la peur superstitieuse de la mort et des dieux et s'en tenir aux désirs naturels et nécessaires, qui sont tout à la fois faciles à combler et dont la satisfaction est source de plaisir, telle est la morale épicurienne. Toutes deux dessinent l'idéal d'une sagesse humaine fondée sur l'absence de troubles (ou ataraxie) et l'harmonie avec la nature.

    La citation
    Le désir ouvre « la guerre de tous contre tous. » (Thomas Hobbes)

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