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LE BONHEUR
L'homme a une double nature : être de sensibilité aspirant à cet état de satisfaction maximale de ses désirs qu'on nomme le bonheur, il est aussi un être de raison qui sait que ce bonheur ne serait rien s'il l'amenait à nier l'exigence d'une conduite morale : le devoir. 1. Comment définir le bonheur ? Le bonheur, ce n'est pas simplement être heureux : comme
l'écrit Aristote, « une hirondelle ne fait pas le printemps, ni non plus
un seul jour ». Cette phrase, devenue proverbiale, signifie que le bonheur n'est
pas l'affaire d'un instant ; il doit, s'il est véritable, s'inscrire dans la
durée. L'ambition des grandes écoles de la philosophie antique,
c'est donc de permettre à l'homme d'accéder à la vie heureuse : la recherche
d'un bonheur durable sera l'objet de cette partie de la philosophie qu'on nomme
l'éthique.
2. En quel sens le bonheur et le devoir seraient-ils compatibles ? |
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Aristote aussi bien que les épicuriens ou les stoïciens
s'accordent sur ce point : seule une vie juste et droite peut nous faire
accéder au bonheur véritable, c'est-à-dire durable. Pour les épicuriens,
si le plaisir est essentiel au bonheur, certains désirs amènent plus de troubles
que de réjouissances : il faudra les écarter, et se contenter des désirs
naturels et nécessaires, parce qu'ils sont source de plaisir et faciles à
satisfaire. Pour les stoïciens, le bonheur ne saurait être durable s'il
dépend des circonstances extérieures : je dois discipliner ma volonté pour
apprendre à ne dépendre que de moi, parce que mon bonheur ne peut être laissé
aux caprices de la fortune.
3. Les morales antiques parviennent-elles à définir le bonheur ? Selon Emmanuel Kant, nous sommes dans
l'impossibilité de définir le bonheur par lui-même : on dit qu'il est l'état
maximal de satisfaction ; mais comment savoir si ma satisfaction est bien
maximale ? Et comme le bonheur est un « idéal de l'imagination » que je
ne peux définir, mon entendement est incapable de déterminer les moyens qu'il
faudrait employer pour être effectivement heureux. Pour Kant, la raison
nous dit comment éviter d'être à coup sûr malheureux, mais non comment être
heureux ; aussi les conseils des différentes philosophies antiques sont-ils
seulement négatifs. Mais éviter le malheur, ce n'est pas encore être heureux ;
il s'agit alors plutôt de savoir si la recherche du bonheur doit être la suprême
motivation de l'homme dans son existence.
4. L'obéissance au devoir peut-elle s'accompagner de la recherche du bonheur ? Comme l'a montré Kant, celui qui fait son devoir par
intérêt, et non par pur respect pour ce que la morale commande,
n'a que l'apparence de la moralité : c'est la distinction qu'il fait
entre les actions accomplies véritablement par devoir, et les actions qui sont
seulement accomplies conformément au devoir. L'homme véritablement moral doit
« humilier » en lui la sensibilité et son penchant naturel à vouloir satisfaire
ses désirs : si agir par intérêt est contraire à la moralité, la conduite
véritablement morale doit aller à l'encontre de tous nos intérêts sensibles, y
compris la recherche du bonheur. Selon Kant, on ne peut donc pas, comme le
croyaient les différentes philosophies antiques, à la fois faire son devoir et
rechercher le bonheur, parce que le devoir, c'est précisément faire passer
l'impératif de la moralité avant la recherche du bonheur.
5. Faut-il renoncer à être heureux pour être moral ? Non ! Une telle morale serait inhumaine, parce qu'il est
dans la nature même de l'homme de chercher à être heureux. Mais comme
devoir et bonheur sont incompatibles ici-bas, je ne puis
qu'espérer être heureux plus tard, et ailleurs, si je me suis rendu digne du
bonheur par ma vie droite : il faut faire son devoir sans se soucier d'être
heureux, tout en espérant qu'il y aura un Dieu juste et bon pour m'accorder
après la mort ce que Kant nomme le souverain bien, l'alliance impossible
dans cette vie du bonheur et de la moralité. Certes, on ne pourra jamais
démontrer ni que Dieu existe, ni que l'âme est immortelle : du point de vue de
la connaissance (raison théorique), ces propositions sont indécidables. Mais
dire que l'alliance de la moralité et du bonheur est à jamais
impossible conduirait à désespérer de la loi morale : il faut donc poser qu'une
telle alliance doit être possible, en postulant l'immortalité de l'âme et
l'existence d'un Dieu juste. Immortalité de l'âme et existence de
Dieu deviennent alors des postulats exigés par la raison
pratique.
La citation « Fais ce qui peut te rendre digne d'être
heureux. » (Emmanuel Kant)
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