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LA VERITE
La vérité fait partie de ces termes que la philosophie
scolastique nommait des « transcendantaux », parce qu'il sont toujours
« au-delà » (trans) de tout ce qui est (ens), et que, comme tels,
ils ne sont pas définissables : il ne s'agirait pas alors de les comprendre,
mais de les saisir directement par une intuition immédiate.
1. Quel sens donnons-nous habituellement à la vérité ? René Descartes remarque que l'on définit
couramment le vrai comme ce qui n'est pas faux, et le faux comme ce qui n'est
pas vrai… Ici, les contraires se définissent les uns les autres, et la
définition, circulaire, est purement « nominale », c'est-à-dire qu'en
fait elle ne définit rien. Il faut donc chercher une autre définition. Pour
cela, il faut d'abord définir ce qui est susceptible d'être vrai ou faux.
2. Qu'est-ce qui est susceptible d'être vrai ou faux ? |
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Seuls nos énoncés sur les choses, et non les
choses elles-mêmes, sont susceptibles d'être vrais ou faux ; et encore : la
prière, le souhait, l'ordre, etc., sont des énoncés qui n'ont pas de valeur de
vérité.
En fait, seuls les énoncés qui attribuent un
prédicat à un sujet, c'est-à-dire les jugements prédicatifs,
peuvent être vrais ou faux. La vérité serait alors d'attribuer à un sujet le
prédicat qui exprime comment le sujet est réellement (par exemple, l'énoncé « la
table est grise » est vrai si la table réelle est effectivement grise). Une
proposition serait donc vraie quand elle décrit adéquatement la chose
telle qu'elle est.
3. La définition de la vérité comme adéquation est-elle satisfaisante ? Saint Thomas d'Aquin a le premier défini la
vérité comme l'adéquation de l'esprit et de la chose. Mais pour que cette
définition soit valide, il faudrait que je puisse comparer mes idées aux
choses ; le problème, c'est que je n'ai jamais affaire aux choses en
elles-mêmes, mais à ma représentation des choses.
Or, rien ne m'assure que le monde est bien conforme à ce que j'en perçois ; il se pourrait, comme l'a montré René Descartes, que toute ma vie ne soit qu'un « songe bien lié », que je sois en train de rêver tout ce que je crois percevoir : rien ne m'assure que le monde ou autrui existent tels que je les crois être. 4. Faut-il alors renoncer à parvenir à la vérité ? Même si tous mes jugements sont faux, il est cependant
une seule chose dont je ne peux pas douter : pour se tromper, il faut être ;
donc, je suis. « Je pense, donc je suis » est la seule proposition
nécessairement vraie. Cette intuition devient le modèle de la vérité : il
ne s'agit plus de comparer mes idées aux choses, ce qui est impossible, mais mes
idées à cette intuition certaine, le cogito. Toute idée qui est aussi claire et
distincte que le cogito est nécessairement vraie.
Cependant, à ce stade du doute méthodique, je ne suis assuré que d'être en tant que chose qui pense : pour m'assurer qu'autrui et le monde existent, et me sortir du solipsisme, Descartes devra par la suite poser l'existence d'un Dieu vérace et bon qui ne cherche pas à me tromper. 5. Quelle est la solution proposée par Descartes ? « Je pense, donc je suis » : il est impossible de
douter de cette proposition. La certitude du cogito ne me dit cependant
rien d'autre : hormis cela, je peux encore me prendre à douter de tout.
Mais, parmi toutes les idées dont je peux douter, il y a l'idée de Dieu. L'idée
d'un être parfait est elle-même nécessairement parfaite ; or, je suis un être
imparfait : de mes propres forces, je ne peux donc pas avoir une telle
idée.
Si j'ai l'idée de Dieu, il faut donc que ce soit Dieu
lui-même qui l'ait mise en mon esprit ; par conséquent, je suis certain que Dieu
existe avant d'être sûr que le monde est comme je le perçois. Mais si Dieu
existe, et s'il est parfait, il doit être vérace et bon : il ne peut avoir la
volonté de me tromper, et le monde doit bien être tel que je me le représente.
Descartes est ainsi contraint de poser l'existence de Dieu au fondement de la
vérité.
6. La solution cartésienne résout-elle le problème ? En fait, lorsque Descartes affirme que le modèle de la
vérité, c'est l'intuition immédiatement certaine du cogito, il
présuppose que sa définition de la vérité est la vraie définition.
Comme l'a montré le logicien Gottlob Frege, la vérité se présuppose toujours elle-même, quelle que soit la définition que j'en donne : que je définisse la vérité comme adéquation, comme cohérence logique de la proposition ou comme intuition certaine, je présuppose déjà le « sens » de la vérité. Cette circularité ne rend pas la vérité nulle et non avenue, mais invite plutôt à remarquer le paradoxe : la vérité se précède toujours elle-même. La citation |