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LA SOCIETE ET LES ECHANGES
Un État, c'est un ensemble d'institutions politiques régissant la vie des citoyens. Mais qu'est-ce que la société ? Si la société n'est pas l'État, il serait tentant de la réduire à une simple communauté d'individus échangeant des services et des biens. La société aurait par conséquent une fonction avant tout utilitaire : regrouper les forces des individus, diviser et spécialiser le travail, régir les échanges et organiser le commerce. On peut douter cependant que la société se réduise à ces seules fonctions. 1. Quelle est l'utilité de la vie en société ? Comme le remarque David Hume, l'homme est
un être dépourvu de qualités naturelles. Il a donc tout à la fois plus de
besoins que les autres animaux (il lui faut des vêtements pour se protéger du
froid, par exemple), et moins de moyens pour les satisfaire, parce qu'il est
faible. C'est donc pour pallier cette faiblesse naturelle que l'homme vit
en société : la vie en commun permet aux individus de regrouper leurs
forces pour se défendre contre les attaques et pour réaliser à plusieurs ce
qu'un seul ne saurait entreprendre ; elle permet aussi de diviser et de
spécialiser le travail, ce qui en accroît
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l'efficacité mais génère également de
nouveaux besoins (il faudra à l'agriculteur des outils produits par le forgeron,
etc.). Se dessine alors une communauté d'échanges où chacun participe, à
son ordre et mesure, à la satisfaction des besoins de tous (Platon, la
République, II).
2. Les échanges fondent-ils la société ? Selon Adam Smith, l'individu est dans
l'incapacité de satisfaire tous ses besoins. Je ne peux les satisfaire
que si j'obtiens qu'un autre fasse ce que je ne sais pas faire : il sera alors
possible d'échanger le produit de mon travail contre le produit du
travail d'un autre. Or, pour qu'autrui accepte l'échange, il faut qu'il éprouve,
lui aussi, le besoin d'acquérir ce que je produis : il est donc dans mon
intérêt propre que le plus de gens possible aient besoin de ce que je
produis. Comme chacun fait de son côté le même calcul, il est dans l'intérêt de
tous que les besoins aillent en s'augmentant ; et avec eux, c'est
l'interdépendance qui s'accroît. Les échanges deviennent alors le
véritable fondement d'une société libérale : la satisfaction de mes besoins
dépend d'autrui, mais la satisfaction des siens dépend de moi ; et chacun
dépendant ainsi de tous les autres, aucun n'est plus le maître de
personne.
3. Comment s'organisent les échanges ? Réunis en société, les individus deviennent
interdépendants grâce à l'échange continuel de services et de biens :
dans la vie en communauté, l'homme travaille pour acheter le travail d'autrui.
Chaque bien produit a donc une double valeur : une valeur d'usage en tant
qu'il satisfait un besoin, et une valeur d'échange, en tant qu'il est une
marchandise. Mais, ainsi que le note Aristote, comment échanger maison et
chaussures ? C'est la monnaie, comme commune mesure instituée, qui rend
possible l'échange de produits qualitativement et quantitativement différents.
C'est ici que Platon voit le danger d'une société fondée uniquement sur
les échanges et le commerce : les individus y auront toujours tendance à
profiter des échanges non pour acquérir les biens nécessaires à la vie, mais
pour accumuler de l'argent. De moyen, la monnaie devient fin en
soi, pervertissant ainsi tout le système de production et d'échange des
richesses et corrompant le lien social.
4. La société sert-elle uniquement à assurer notre survie ? Selon Aristote, la vie en communauté n'a pas pour
seul but de faciliter les échanges afin d'assurer notre survie : ce qui fonde la
vie en communauté, c'est cette tendance naturelle qu'ont les hommes à s'associer
entre eux, la philia, ou amitié. Il ne s'agit pas
simplement de dire que nous sommes tout naturellement enclins à aimer nos
semblables, mais bien plutôt que nous avons besoin de vivre en société avec eux
pour accomplir pleinement notre humanité. Comme le remarquait Kant,
l'homme est à la fois sociable, et asocial : il a besoin des autres, mais il
entre en rivalité avec eux. C'est cette « insociable sociabilité » qui a
poussé les hommes à développer leurs talents respectifs et leurs dispositions
naturelles, bref, à devenir des êtres de culture.
5. Les échanges sont-ils réductibles au commerce des services et des biens ? Comme l'a montré l'ethnologue Claude
Lévi-Strauss, on ne saurait réduire les échanges aux seules transactions
économiques. En fait, il existe deux autres types d'échanges qui ont d'ailleurs
la même structure : l'organisation de la parenté, et la communication
linguistique. Une société n'est donc pas réductible à une simple communauté
économique d'échange : elle se constitue aussi par l'organisation des liens de
parenté (le mariage), par l'instauration d'un langage commun à tous ses membres,
par un système complexe d'échanges symboliques (promesses, dons et contre-dons)
qui établissent les rapports et la hiérarchie sociale, etc. Pour Émile
Durkheim (le fondateur de la sociologie), une société n'est alors pas une
simple réunion d'individus : c'est un être à part entière exerçant sur
l'individu une force contraignante et lui fournissant des « représentations
collectives » orientant toute son existence.
À retenir La citation
« La société n'est pas une simple somme d'individus,
mais le système formé par leur association représente une réalité spécifique qui
a ses caractères propres. »
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