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LA RELIGION
Il s'agit de savoir ici ce que sont les religions en
général, et non de parler de telle ou telle religion. Le fait religieux
est présent dans toutes les cultures humaines : fondamentalement, le fait
religieux lie l'homme à des puissances qui sont plus qu'humaines. La question
est alors de savoir si raison et religion doivent s'exclure
réciproquement.
1. Peut-on définir la religion ? Le philosophe latin Cicéron donne une double
étymologie à la religion : elle viendrait à la fois de relegere,
« rassembler », et de religare, « rattacher ». Ainsi, la religion
rassemble les hommes en les rattachant ensemble à des puissances
surnaturelles qu'ils doivent vénérer : c'est le sentiment du sacré,
mélange de crainte et de respect pour des forces qui nous dépassent.
Vénération du sacré, la religion prend la forme de rites qui se distinguent du temps profane comme temps des affaires humaines. |
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2. Peut-on distinguer plusieurs sortes de religions ? Auguste Comte voit dans le fétichisme la
religion la plus primitive. La croyance fétichiste confère aux objets des
qualités magiques : ainsi, c'est parce qu'une force surnaturelle l'habite que
l'arme est mortelle. On parle alors de magico-religieux : le rite vise à
se concilier les grâces de puissances supérieures potentiellement
menaçantes.
Selon Comte, le stade suivant est celui du polythéisme : ce ne sont plus les objets qui sont vénérés, mais des êtres divins représentés de manière anthropomorphique. Au rite religieux est alors associé l'élément du mythe comme récit des origines : le mythe n'est pas qu'un récit imaginaire, c'est un modèle qui sert à expliquer le réel et à le comprendre en racontant sa genèse. Le dernier stade de la religion, nous dit Comte, est le monothéisme. 3. Qu'est-ce qui distingue le monothéisme du polythéisme ? Les religions monothéistes croient en un dieu
unique, contrairement aux religions polythéistes. Et si les mythes des
religions polythéistes se perdent dans la nuit des temps, s'ils racontent une
origine en dehors de l'histoire, les religions monothéistes en revanche ne sont
pas mythiques : elles affirment leur caractère historique en posant
l'existence « datable » de leur fondateur (Abraham et Moïse, Jésus-Christ ou
Mahomet).
Surtout, c'est avec le monothéisme que Dieu n'est plus pensé à l'image de l'homme : il est désormais infiniment distant, il est le tout-autre. Il ne s'agit plus alors de faire des sacrifices pour s'attirer ses faveurs, mais de croire en lui : avec le monothéisme, c'est la notion de foi qui apparaît et prend tout son sens. 4. Quelles sont les nouveautés apportées par le monothéisme ? Le monothéisme remplace le mythe par la foi, et
croit en un dieu qui n'est plus pensé à l'image de l'homme. On ne peut l'honorer
par des sacrifices, mais par la prière et par des actions qui obéissent à
sa volonté : le monothéisme introduit une dimension morale dans la religion ; on
peut alors parler d'éthico-religieux.
Selon Ludwig Feuerbach, le monothéisme le plus radicalement neuf est le christianisme : les religions polythéistes adorent des dieux imaginés à la ressemblance des hommes ; la religion grecque adore l'homme lui-même ; le christianisme dépasse les autres religions parce qu'il montre qu'elles ont toutes été anthropomorphiques. 5. Quel est le sens de la critique de Feuerbach ? Selon Feuerbach, le christianisme s'est approché de la
vérité de la religion sans toutefois l'atteindre : en affirmant que dans le
Christ, Dieu s'est fait homme, le christianisme amorce un mouvement que la
philosophie doit achever en inversant la proposition. En fait, la religion n'est
pas le mystère du Dieu qui s'est fait homme, mais le mystère de l'homme qui
s'est fait Dieu.
Même si l'homme l'ignore, Dieu n'est autre que l'homme lui-même : pensant Dieu comme étant tout autre que lui, l'homme s'aliène puisqu'il se dépossède de ses caractéristiques les plus dignes pour les donner à Dieu. « L'homme pauvre a un dieu riche » : cela signifie que le dieu chrétien n'est que la projection des espérances humaines ; cela signifie aussi que l'homme a dû se dépouiller de toutes ses qualités pour en enrichir Dieu. Nous devons alors réapprendre à être des hommes en nous libérant de l'aliénation religieuse. 6. Religion et raison s'excluent-elles mutuellement ? La philosophie doit, selon Feuerbach, entreprendre la
« critique de la déraison pure », c'est-à-dire du christianisme ; en cela, il
s'oppose à Emmanuel Kant, qui envisage la possibilité d'une religion
rationnelle. Si la Critique de la raison pure montre qu'aucune preuve de
l'existence de Dieu n'est recevable, Kant y explique également que l'existence
de Dieu est un postulat nécessaire de la raison pratique. Le devoir en effet
semble aller à l'encontre de notre bonheur personnel : dans ce monde, il n'est
pas possible de penser le juste rapport entre bonheur et vertu.
Pour que le devoir lui-même ne sombre pas dans l'absurde, il faut alors nécessairement postuler l'existence d'un Dieu juste et bon qui garantira ailleurs et plus tard la correspondance du bonheur et de la moralité. Cette « religion dans les simples limites de la raison » n'est pas la religion des prêtres : pas de culte, pas de clergé, ni même de prières, c'est une pure exigence de la raison pratique qui pose que Dieu existe, même si la raison théorique ne pourra jamais le démontrer. 7. Une religion rationnelle est-elle possible ? La religion de Kant est-elle encore religieuse ?
Blaise Pascal aurait répondu par la négative : contre René
Descartes, et contre tous ceux qui veulent réduire la religion à ce qu'il
est raisonnable de croire, Pascal en appelle au cœur qui seul « sent
Dieu ».
C'est justement la marque de l'orgueil humain que de vouloir tout saisir par la raison et par « l'esprit » ; mais ce n'est pas par la raison que nous atteindrons Dieu, mais par le sentiment poignant de notre propre misère : la foi qui nous ouvre à Dieu est d'un autre ordre que la raison, et la raison doit lui être subordonnée. Les citations « Je devais donc supprimer le savoir pour faire une
place à la foi. » (Emmanuel Kant)
« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît
point. » (Blaise Pascal) |