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LA JUSTICE ET LE DROIT
Que l'injustice nous indigne montre que la justice est d'abord une exigence, et même une exigence d'égalité : c'est d'abord quand un partage, un traitement ou une reconnaissance sont inégalitaires que nous crions à l'injustice. La justice devrait donc se définir par l'égalité, symbolisée par l'équilibre de la balance. Mais qu'est-ce qu'une égalité juste ? Suffit-il d'attribuer des parts égales à chacun ? 1. La justice se confond-elle avec la stricte égalité ? Aristote distingue la justice distributive
et la justice corrective. La justice corrective concerne les transactions
privées volontaires (vente, achat, etc.) et involontaires (crimes et délits).
Elle obéit à une égalité arithmétique stricte : que l'homme lésé soit
puissant ou misérable, le rôle de la justice est de rétablir l'égalité en
versant des intérêts de même valeur que le dommage, comme s'il s'agissait de
biens échangés dans un acte de vente.
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La justice distributive concerne la répartition des
biens et des honneurs entre les membres de la cité. Ici, la justice n'est pas de
donner à chacun la même chose, car il faut tenir compte du mérite : l'égalité
n'est alors pas arithmétique (le même pour tous), mais géométrique, car
elle implique des rapports de proportion (à chacun selon son
mérite).
2. Quelle égalité peut exiger la justice ? Personne ne peut soutenir que les hommes sont égaux en
fait : aux inégalités naturelles (de force ou d'aptitudes) s'ajoutent en
effet les inégalités sociales (de richesse ou de culture). Pourtant, la
justice exige que les hommes soient égaux en droit, c'est-à-dire que, malgré les
inégalités de fait, ils aient droit à une égale reconnaissance de leur
dignité humaine.
C'est ce que montre Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat social : un État n'est juste et légitime que s'il garantit à ses citoyens le respect de ce qui fonde la dignité humaine, à savoir la liberté. Seule en effet elle est « inaliénable » : la vendre ou la donner au tyran, c'est se nier soi-même. Cette égalité en droit doit pouvoir ainsi se traduire par une égalité en droits : nul ne doit posséder de privilèges eu égard à la loi de l'État. 3. Quels sont les rapports du droit et de la justice ? Le droit est d'abord l'ensemble des règles qui régissent
un État : c'est le droit positif. Comme ces règles varient d'un État à l'autre,
n'y a-t-il nulle justice qui soit la même pour tous les hommes ? C'est bien la
position de Blaise Pascal : les lois n'ont pas à être justes, elles
doivent surtout garantir la paix sociale, car « il vaut mieux une
injustice qu'un désordre ».
Mais ce n'est pas la position de Rousseau, ni de la pensée des « droits de l'homme » : les lois peuvent être injustes, et cautionner des inégalités de droits. Un droit positif juste sera alors un droit conforme au droit naturel, c'est-à-dire à ce que la raison reconnaît comme moralement fondé, eu égard à la dignité de la personne humaine. 4. La justice est-elle une vertu ou une illusion ? Platon soutient que la justice, si elle est
l'idéal de la communauté politique, doit aussi être une vertu morale en chaque
individu. Contre ceux qui soutiennent que « nul n'est juste
volontairement » et que la justice comme vertu n'existe pas, Platon montre
que c'est le rôle de l'éducation d'élever chacun à cette vertu suprême,
qui implique à la fois sagesse, courage et tempérance.
Certes, l'homme a tendance à vouloir s'attribuer plus que les autres au mépris de tout mérite : si comme Gygès, nous trouvions un anneau nous rendant invisibles, nous commettrions les pires injustices. Mais Gygès était un berger privé d'éducation, et qui vivait hors de la cité : l'enjeu de la politique, c'est précisément de rendre les citoyens meilleurs, en leur faisant acquérir cette vertu qu'est la justice, contre leurs penchants égoïstes. 5. L'égalité des droits suffit-elle à fonder une société juste ? La démocratie a commencé par poser qu'il y avait
des droits inaliénables et universels : les droits de l'homme. Mais la sphère
des droits s'est progressivement étendue : par exemple, la richesse globale
étant le fruit du travail de tous, il est normal que chacun ait droit à
une part raisonnable.
Cette extension du « droit de » au « droit à » s'est achevée par l'exigence de droits « en tant que » (femme, minorité, etc.). En démocratie, certaines minorités sont systématiquement ignorées, puisque c'est la majorité qui décide de la loi : donner des droits égaux à tous, c'est donc finalement reconduire des inégalités de fait. Selon John Rawls, il faut, au nom de la justice, tolérer des inégalités de droits, à condition que ces inégalités soient au profit des moins favorisés. Cela cependant amène à nier que tous les droits sont universels, parce que certains auront des droits que d'autres n'ont pas. À retenir La citation
« Ne pouvant faire que le juste soit fort, on a fait
que le fort soit juste. » (Blaise Pascal)
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