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L'HISTOIRE
L'histoire est toujours histoire d'une communauté
humaine : il n'y a pas plus d'histoire de l'individu pris isolément qu'il
n'y a d'histoire des animaux. Il faut distinguer l'histoire comme récit fait par
l'historien des événements passés et l'histoire comme aventure en train de se
faire.
1. L'histoire est-elle une science ? L'historien répond à une exigence de vérité, le problème
étant qu'il raconte un passé auquel il n'a pas été présent. Toutefois cette
exigence de vérité ne suffit pas à faire de l'histoire une science. Toute
science a pour but de dégager des constantes ou lois universelles et
prédictives. Or, l'histoire est une discipline purement empirique : il n'y a
pas de lois universelles de l'histoire comme il y a des lois en physique.
L'histoire peut seulement nous enseigner comment les choses se sont passées, et non comment elles se passeront. Si |
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donc nous
définissons une science par son objet, alors l'histoire n'est pas une discipline
scientifique ; en revanche, elle l'est peut-être par sa méthode :
l'historien a pour but de dire ce qui s'est réellement passé à partir de traces
qu'il authentifie et qu'il interprète.
2. En quoi consiste le travail de l'historien ? Le travail de l'historien est un travail
d'interprétation : il ne s'agit pas simplement pour lui de faire une
chronologie, mais d'établir le sens et l'importance des événements ainsi que
leurs relations. Selon Wilhelm Dilthey, nous expliquons la nature,
c'est-à-dire que nous dégageons peu à peu les lois qui la régissent ; mais nous
comprenons la vie de l'esprit.
De même, l'historien ne doit pas expliquer les chaînes causales et établir des lois, mais comprendre un sens ; aussi l'objectivité historique n'a-t-elle rien à voir avec l'objectivité scientifique : étant une interprétation, l'histoire peut et doit toujours être réécrite. En ce sens, l'histoire est surtout la façon dont l'homme s'approprie un passé qui n'est pas seulement le sien. 3. Pourquoi faisons-nous de l'histoire ? Certainement pas pour en tirer un enseignement !
« L'histoire ne repasse pas les plats » : on ne peut tirer un enseignement que
de ce qui se répète, et l'histoire ne se répète jamais. Comme le remarque
Hegel, s'il suffisait de connaître les anciennes erreurs pour ne plus les
commettre, la paix régnerait sur Terre depuis bien longtemps…
Nous faisons de l'histoire non pour prévoir notre avenir, mais pour garder trace de notre passé, parce que nous nous posons la question de notre propre identité : c'est parce que l'homme est en quête de lui-même, parce qu'il est un être inachevé qui ne sait rien de son avenir, qu'il s'intéresse à son passé. Par l'histoire, l'homme construit et maintient son identité dans le temps. 4. L'histoire a-t-elle un sens ? Ici, il ne s'agit plus de l'histoire comme discipline de
l'historien, mais de l'histoire « en train de se faire ». La question est
alors de savoir si la totalité des actes humains a son unité et se dirige vers
un but (une fin), ou s'éparpille dans un simple agrégat d'actes
individuels sans rapport entre eux.
Hegel montre que l'histoire est en fait le processus par lequel un peuple devient conscient de lui-même, c'est-à-dire conscient d'exister en tant que peuple ; c'est la raison pour laquelle nous retenons principalement de l'histoire les moments où notre peuple a été menacé dans son existence, autrement dit les guerres. 5. Comment un peuple devient-il conscient de lui-même ? Selon Hegel, parvenir à la conscience de soi implique
deux mouvements : poser un objet extérieur à soi et le reconnaître comme
étant soi-même. C'est ce qui arrive lorsque je contemple mon image dans
un miroir et que je la reconnais (et c'est justement ce dont tous les animaux
sont incapables).
Alors, quel est l'objet extérieur à lui qu'un peuple pose, et comment le reconnaît-il comme étant lui ? Pour Hegel, l'objet posé, ce sont les institutions : c'est en créant des institutions chargées de régir la vie en communauté qu'un peuple parvient à l'existence. Les institutions sont l'image qu'un peuple se donne de lui-même, elles matérialisent le peuple comme peuple. 6. Comment un peuple se reconnaît-il dans ses institutions ? La question est de savoir comment un peuple peut
s'identifier à ses institutions. Hegel se souvient de la célèbre phrase de
Louis XIV : « L'État, c'est
moi » ; celui qui permet au peuple de se reconnaître dans ses institutions,
c'est le chef politique.
Sans le « grand homme », cette image de lui-même que sont les institutions lui serait comme étrangère : le second moment de la prise de conscience de soi est effectué par le chef éclairé (par exemple Napoléon), qui s'identifie aux institutions d'un peuple et qui, animé par la passion du pouvoir, les réforme et les impose autour de lui. La citation |