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L'ART
L'art ne doit pas seulement être entendu dans le sens de
« beaux-arts » : il ne faut pas oublier l'art de l'artisan, qui lui aussi
réclame une technique, c'est-à-dire un ensemble de règles à respecter. Il
est clair cependant que les beaux-arts n'ont pas la même finalité puisqu'ils
recherchent le beau et produisent des objets dépourvus d'utilité.
1. Comment définir l'art ? Ce n'est qu'au xviiie siècle que le terme
d'art a été réduit à la signification que nous lui connaissons actuellement. Il
avait jusque-là servi à désigner toute activité humaine ayant pour but de
produire des objets : en ce sens, l'art s'oppose à la nature, qui est
l'ensemble de tout ce qui se fait sans que l'homme ait à intervenir.
L'art réclame toujours des règles : lorsque l'on
est charpentier comme lorsque l'on est musicien, il faut observer des règles si
l'on veut produire l'œuvre désirée. C'est exactement ce que veut dire le mot
technè en grec : la technique, c'est l'ensemble des règles qu'il
faut suivre dans un art donné.
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2. Qu'est-ce qui différencie les beaux-arts de l'art de l'artisan ? L'artisan a pour but de produire des objets
d'usage : c'est l'usage qu'on va faire de l'objet qui détermine ses
caractéristiques et donc la façon dont on va le fabriquer.
L'artiste quant à lui ne vise pas l'utile, mais le
beau. Si l'habileté technique est la limite supérieure de l'art de
l'artisan, elle est la limite inférieure des beaux-arts : alors qu'on attend
d'un objet courant qu'il soit bien conçu et réalisé de façon à être d'usage
aisé, on n'attend pas simplement d'un tableau qu'il soit bien peint, mais qu'il
éveille en nous le sentiment du beau.
3. Peut-on définir ce qu'est le beau ? Deux grandes conceptions s'affrontent dans l'histoire de
la philosophie : soit le beau est une caractéristique de l'objet, soit il
est un sentiment du sujet. La première doctrine remonte à Platon : une
chose est belle quand elle est parfaitement ce qu'elle doit être ; on peut
parler d'une belle marmite, quand cette marmite rend exemplaire l'idée
même de marmite.
La seconde est inaugurée par Emmanuel Kant : le beau n'est pas une caractéristique de l'objet, c'est un sentiment du sujet, éveillé par certains objets qui produisent en nous un sentiment de liberté et de vitalité. En effet, le sentiment du beau est le « libre jeu » de l'imagination et de l'entendement : le beau suscite un jeu de nos facultés par lequel nous éprouvons en nous le dynamisme même de la vie. 4. Le beau dépend-il du goût de chacun ? Selon Kant, la réponse est négative : le beau plaît
universellement, même s'il s'agit d'une universalité de droit, et non de
fait. Si je juge une œuvre belle alors que mon voisin la trouve laide, la
première chose que je tenterai de faire, c'est de le convaincre. C'est ce
qui différencie le beau de l'agréable : l'agréable est affaire de
goût et dépend du caprice de chacun, alors que le beau exige
l'universalité.
Le beau peut être universel parce qu'il fait jouer des facultés qui sont communes à tous les sujets : le sentiment que j'éprouve devant la belle œuvre peut, en droit, être partagé par tous. Pour Kant cependant, cette définition vaut aussi bien pour le beau naturel que pour le beau artistique ; en un sens, le beau naturel peut être selon lui supérieur au beau artistique, parce qu'il est purement gratuit : la belle œuvre est faite pour plaire, et cette intention, quand elle est trop visible, peut gâcher notre plaisir ; rien de tel avec un beau paysage. 5. L'œuvre d'art a-t-elle une fonction ? Contrairement à l'objet technique qui trouve la raison
de son existence dans son utilité, l'œuvre d'art semble ne pas avoir de fonction
particulière. Suffit-il alors de rendre un objet technique inutilisable pour en
faire une œuvre d'art ? C'est en tous cas la théorie du ready-made de Marcel
Duchamps.
Pour Kant cependant, cette inutilité n'est pas simplement une absence de fonction : elle résulte de la nature même du beau. Dire qu'une fleur est belle ne détermine en rien le concept de fleur : le jugement esthétique n'est pas un jugement de connaissance, il ne détermine en rien son objet, qui plaît sans qu'on puisse dire pourquoi. C'est ainsi parce que le beau plaît sans concept que l'œuvre ne peut pas avoir de finalité assignable. 6. L'art sert-il à quelque chose ? Que l'œuvre d'art n'ait pas de fonction assignable ne
signifie pas que l'art ne sert à rien : Hegel, dans son
Esthétique, lui assigne même la tâche la plus haute. Une œuvre n'a pas
pour but de reproduire la nature avec les faibles moyens dont l'artiste dispose,
mais de la recréer.
Dans le tableau, ce n'est donc pas la nature que je contemple, mais l'esprit humain : l'art est le moyen par lequel la conscience devient conscience de soi, c'est-à-dire la façon par laquelle l'esprit s'approprie la nature et l'humanise. C'est donc parce que nous nous y contemplons nous-mêmes que l'art nous intéresse. Certes, un outil est aussi le produit de l'esprit humain ; mais il a d'abord une fonction utilitaire et pratique. En contemplant une œuvre d'art en revanche, nous ne satisfaisons pas un besoin pratique, mais purement spirituel : c'est ce qui fait la supériorité des œuvres sur les autres objets qui peuplent notre monde. La citation « Est beau, ce qui plaît universellement et sans
concept. » (Emmanuel Kant)
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