Poésie et langage
En faisant entendre et en organisant le langage
autrement, la poésie provoque l'imagination et suscite de nouvelles émotions.
Peut-on définir plus précisément le genre ? Peut-on à
tout le moins mettre en évidence certains procédés techniques qui sont au
service de la poésie ?
1. La poésie : un genre difficile à définir
La poésie est universelle et est sans doute une des
expressions les plus anciennes de la littérature. On regroupe sous cette
appellation des formes aussi diverses que les épopées d'Homère, la
production des griots africains, celle des Grands Rhétoriqueurs du Moyen Âge,
les vers de Victor Hugo, ceux de Jean Tardieu ou encore les haïkus japonais !
Cependant, à travers l'extrême variété des formes et des fonctions, un point
commun subsiste : la poésie fait toujours un usage particulier du
langage.
« Les mots que j'emploie
Ce sont les mots de tous les jours et ce ne sont pas les
mêmes ! » a pu écrire Paul Claudel.
Par la grâce du poète, il s'opère une transmutation
magique : « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or », dit Charles
Baudelaire.
Le poète fait œuvre d'art à partir d'un matériau, les
mots, un peu comme le peintre se sert des couleurs, le musicien, des sons.
Les mots du poème méritent qu'on s'y attarde pour apprécier les rapprochements
sonores, les images inattendues qui peuvent (c'est l'ambition des poètes
modernes depuis Rimbaud) nous révéler des aspects cachés du monde.
2. Les règles de l'art
Quelle que soit l'époque, et même si les poètes du xxe siècle ont rompu avec
certaines traditions, des contraintes spécifiques au genre ont toujours existé.
Dans la poésie dite régulière, elles concernent principalement la disposition du
texte dans la page, le compte des syllabes, la répartition des accents toniques
et la rime.
2.1. La disposition du texte dans la page
Un poème se distingue, en premier lieu, d'un texte en
prose par sa disposition dans la page. Chaque vers est suivi d'un retour à la
ligne. Les vers s'organisent le plus souvent en strophes, plus ou
moins longues selon le cas. Cette typographie particulière permet d'identifier
la poésie en tant que telle du premier coup d'œil. Il existe certaines formes
fixes : par exemple, le sonnet composé de deux strophes de quatre vers (les
quatrains) et de deux strophes de trois vers (les tercets).
2.2. Le compte des syllabes
Dans la poésie « traditionnelle », les vers d'un poème
comptent un nombre régulier de syllabes. On distingue les monosyllabes (1
seule syllabe), les dissyllabes (2), les trisyllabes (3), les tétrasyllabes (4),
les pentasyllabes (5), les hexasyllabes (6), les heptasyllabes (7), les
octosyllabes (8), les ennéasyllabes (9), les décasyllabes (10), les
hendécasyllabes (11), les alexandrins (12).
Le décompte des syllabes s'effectue selon des règles
propres à la poésie. En particulier, les e muets
doivent être prononcés sauf s'ils se trouvent à la fin d'un vers ou devant un
mot commençant par une voyelle. Ainsi, dans ces quatre vers octosyllabiques (de
huit syllabes) :
« Sans remuer ils se tiendront
Jusqu'à l'heure mélancoliqu(e)
Où, poussant le soleil obliqu(e),
Les ténèbres s'établiront. »
(Charles Baudelaire, « les Hiboux » dans les Fleurs
du mal), on prononce les e muets des mots heure et
ténèbres parce qu'ils se trouvent chacun, à l'intérieur d'un vers, devant
un mot commençant par une consonne. D'autre part, le mot remuer se
décompose ici en trois syllabes (au lieu de deux dans la langue courante) ; on
pratique la diérèse re-mu-er pour obtenir les huit syllabes
nécessaires.
2.3. La répartition des accents toniques
En français, l'accent tonique porte sur la
dernière syllabe prononcée d'un mot. Lorsque les mots entrent dans des groupes,
ils perdent leur accent individuel : l'accent tonique tombe alors sur la
dernière syllabe du groupe. Les syllabes ainsi accentuées sont suivies par un
bref silence, appelé coupe.
Dans certains vers, il existe des coupes fortes, dont la
place est fixe : ainsi, dans un alexandrin, on a une coupe à la fin du vers et
sur la sixième syllabe ; cette coupe, baptisée césure, scinde donc le
vers en deux hémistiches égaux de six syllabes.
Ex. : « Nous écoutions la nuit/; la croisée
entr'ouverte
Laissait venir à nous/les parfums du printemps ;
Les vents étaient muets,/ la plaine était
déserte ;
Nous étions seuls, pensifs,/ et nous avions quinze
ans. » (Alfred de Musset, « Lucie » dans Poésies nouvelles)
2.4. La rime
Les vers réguliers sont caractérisés également par la
rime. La rime est le retour, en fin de vers, du ou des mêmes sons. Elle est
pauvre (1 seule sonorité :
trahi/obéi), suffisante (2
sonorités : langueur/cœur) ou
riche quand elle présente au moins trois sons en commun
(mélancolique/oblique).
Selon leur disposition, les rimes sont plates (aa
bb cc dd, etc), croisées (abab cdcd) ou embrassées (abba
cddc).
Ex. : « Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et
calmes,
Le cygne chasse l'onde avec ses larges
palmes,
Et glisse. Le duvet de ses flancs est
pareil
À des neiges d'avril qui croulent au soleil. »
(Sully Prudhomme, « le Cygne » dans les Solitudes)
Dans ces quatre alexandrins, on a des rimes plates (aa
bb), riches (calmes/palmes) ou
suffisantes (pareil, soleil).
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