Ordre et vitesse du récit
Le discours narratif raconte une histoire par
l'intermédiaire d'un narrateur. Le récit qui en résulte obéit-il à une structure
type ? Les événements rapportés suivent-ils toujours l'ordre chronologique ?
Selon les récits, le rapport entre la longueur du récit et la durée des
événements de l'histoire peut-il varier ?
1. La structure type d'un récit : le schéma
narratif
« Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu. » Cette formule
célèbre, attribuée à l'empereur César, résume d'une façon laconique, les trois
étapes minimales d'un récit : une situation initiale, des
péripéties et une situation finale.
1.1. La situation initiale
Au début du récit, le narrateur présente le lieu,
l'époque, les personnages. La situation des personnages paraît stable : dans
Vendredi ou la vie sauvage, de Michel Tournier, Robinson voyage sur un
bateau qui semble sûr ; dans Tartarin de Tarascon, d'Alphonse Daudet,
Tartarin vit tranquillement sa vie de « chasseur de casquettes » à
Tarascon.
1.2. L'événement perturbateur
Un élément inattendu vient modifier ou bouleverser cette
situation, et donc détruire l'équilibre : la tempête, dans Vendredi ou la vie
sauvage ; dans le roman d'Alphonse Daudet, la confrontation du « héros » et
d'un lion de ménagerie, qui conduit Tartarin à partir pour l'Algérie.
Cet événement perturbateur, ou complication,
transforme la situation : naufragé sur une île déserte, Robinson va ainsi
découvrir une autre vie ; Tartarin va mettre ses rêves à l'épreuve de la
réalité.
1.3. Les péripéties
L'élément perturbateur entraîne une succession de
péripéties qui correspondent à autant d'étapes du récit. Chacune
d'elle est liée soit à un nouvel événement, soit à l'arrivée d'un nouveau
personnage.
Dans Vendredi ou la vie sauvage, l'arrivée de
Vendredi vient modifier la vie que Robinson avait commencé à organiser dans sa
solitude. Ce dernier se comporte d'abord en maître, à l'égard de Vendredi. Puis
les relations s'inversent, etc.
En Algérie, Tartarin
rencontre successivement : une Mauresque, le
« prince » Grégory de
Monténégro, Baïa, puis Bombonnel le tueur de
panthères, etc.
1.4. La résolution et la situation finale
Au bout de la chaîne des actions, un nouvel élément, ou
résolution, vient rétablir un équilibre différent. On aboutit à une
situation finale où les obstacles, en principe, sont surmontés : c'est le
dénouement. Dans Vendredi ou la vie sauvage, Robinson choisit la vie
sauvage et reste sur son île, tandis que Vendredi se laisse tenter par la
civilisation.
Après avoir tué par mégarde un lion aveugle et
apprivoisé, Tartarin, lui, rentre à Tarascon, auréolé d'une gloire
inattendue.
2. L'ordre du récit
2.1. Les indicateurs temporels
La progression narrative, c'est-à-dire l'ordre selon
lequel les événements sont racontés, est marquée par des indicateurs temporels.
On distingue :
— les indicateurs absolus (dates
précises) ;
Ex. : « À la fin de l'après-midi du 29 septembre
1759, le ciel noircit tout à coup dans la région de l'archipel Juan
Fernandez. » (Michel Tournier, op. cit.)
— les indicateurs relatifs qui se réfèrent à un
moment repère dans le récit.
Ex. : « D'heure en heure, par les hublots de la
cabine où il mettait le nez quelquefois, Tartarin vit le bleu du ciel pâlir ;
puis enfin, un matin […] il entendit avec bonheur chanter toutes les
cloches de Marseille. » (Alphonse Daudet, op. cit.)
2.2. Les retours en arrière
Cependant, le récit ne suit pas toujours un ordre
chronologique : il arrive que le narrateur commence son récit au milieu et
fasse un retour en arrière. Ainsi, dans l'Odyssée, Ulysse, accueilli par
les Phéaciens, entreprend le récit de ses aventures (chants IX à XII) :
« Allons, je vais te raconter le retour aux mille traverses, que Zeus m'impose
depuis mon départ de Troie. » Il s'agit alors d'un récit enchâssé dans le récit
principal.
Il arrive même que le narrateur parte de la situation
finale
pour nous expliquer comment elle a pu se produire. Ex. :
« Au temps dont je vous parle, Tartarin n'était pas
encore le Tartarin qu'il est aujourd'hui, le grand Tartarin de Tarascon
si populaire dans tout le midi de la France. Pourtant
— même à cette époque —
c'était déjà le roi de Tarascon. Disons
d'où lui venait cette royauté. »
(Alphonse Daudet, op. cit.)
Au cinéma, ce procédé s'appelle un flash
back.
2.3. Les anticipations
Le narrateur peut faire imaginer au lecteur la suite du
récit, notamment au moment de la conclusion. Il emploie alors soit le futur
simple dans un récit au présent ou le futur du passé dans un récit au passé :
« Ils inventeraient de nouveaux jeux, de nouvelles aventures, de nouvelles
victoires. Une vie toute neuve allait commencer. » (Michel Tournier, op.
cit.)
3. La vitesse du récit
Non seulement le récit n'est pas toujours chronologique,
mais il peut être plus ou moins rapide : on parle à ce propos de rythme narratif
ou vitesse du récit.
3.1. Accélérations et ralentissements
Une grande partie du récit peut être consacrée à un
épisode très bref, tandis que de nombreuses années peuvent être racontées en
quelques pages.
C'est le cas dans l'Odyssée : le récit des
aventures d'Ulysse (pendant neuf années) occupe trois chants sur vingt-quatre ;
toute la seconde moitié du poème (douze chants) est consacrée à l'arrivée
d'Ulysse à Ithaque et à sa vengeance, épisode qui ne dure que quelques semaines.
On peut parler, dans ce cas, d'accélération pour le récit des aventures
d'Ulysse et de ralentissement pour le récit de sa vengeance.
3.2. Les pauses
Les pauses sont des interruptions momentanées du récit
de l'action. Elles peuvent être occasionnées par une description ou un
commentaire du narrateur.
L'importance et la place des descriptions
contribuent à modifier la vitesse du récit. Les romans d'Alexandre Dumas
comportent ainsi peu de descriptions : ce sont des romans d'action, où les
événements se succèdent rapidement.
En revanche, l'action, dans les romans de Jules Verne,
est longuement préparée par des descriptions techniques. Le récit est ralenti ;
la description, en faisant attendre la suite des événements, tient le lecteur en
haleine et crée un effet de suspense.
Il peut arriver également que le narrateur (ou l'auteur
en tant que tel) interrompe son récit pour donner au lecteur des
explications sur le lieu, l'époque, une coutume... ou pour exprimer
une opinion personnelle.
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