Les paroles rapportées
Il arrive souvent, dans un récit, que le narrateur fasse
parler les personnages : on dit qu'il « rapporte » leurs paroles, car il ne
s'agit pas du discours du narrateur lui-même. Quels sont les procédés dont il
dispose pour cela ?
1. Le discours direct
1.1. Définition
Le discours direct permet de rapporter des paroles
telles qu'elles ont été formulées. Dans un récit, l'insertion de paroles
rapportées au discours direct constitue une rupture ; ce n'est plus le
narrateur qui parle mais un de ses personnages.
Prenons un exemple emprunté à la fable de La
Fontaine l'Ours et les Deux Compagnons ; à la vue de l'ours, l'un des
deux compagnons terrifié fait le mort espérant ainsi échapper aux griffes de
l'animal :
« Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce
panneau :
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie ;
Et de peur de supercherie,
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l'haleine.
' C'est, dit-il, un cadavre ';
ôtons-nous, car il sent. » (La Fontaine, Fables)
La première phrase ainsi que la proposition incise
dit-il sont « dites » par le narrateur ; en revanche la phrase mise en
italique est dite par l'ours. Ce changement de voix correspond ici à un
changement complet de système d'énonciation :
— dans la narration, les verbes conjugués au passé
simple, à la 3e personne, signalent un énoncé coupé de la situation
d'énonciation ;
— dans le discours direct, on relève au contraire les
marques d'un énoncé ancré dans la situation d'énonciation (le pronom nous
qui fait référence au locuteur, le présent de l'indicatif qui exprime une action
contemporaine du moment de l'énonciation).
1.2. Les marques du discours direct
La plupart du temps, les paroles rapportées au discours
direct sont annoncées à l'aide d'un verbe de parole (dire ou l'un
de ses synonymes) qui précède les paroles, les coupe ou les suit. Dans ces deux
derniers cas, on appelle proposition incise la proposition qui contient ce verbe
de parole (attention, le sujet y est toujours inversé).
Ex. : « C'est, dit-il, un cadavre ;
ôtons-nous, car il sent. » (op. cit.)
Dans cet exemple, le verbe de parole est contenu dans la
proposition incise dit-il, qui coupe le discours direct.
Le discours direct se démarque par ailleurs de la
narration par une disposition et une ponctuation qui lui sont propres.
Ainsi, le plus souvent :
— un deux-points signale le début du discours
direct ;
— l'ensemble de la séquence dialoguée est encadré par
des guillemets ;
— chaque changement d'interlocuteur est indiqué par un
passage à la ligne et un tiret.
Voici un autre exemple avec changement
d'interlocuteur :
« Eh bien ! ajouta-t-il, la peau de
l'animal ?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille ?
Car il s'approchait de bien près avec sa serre.
— Il m'a dit qu'il ne faut jamais
vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre. »
(op. cit.)
2. Le discours indirect
2.1. Définition
Les paroles rapportées au discours indirect sont
intégrées au discours de celui qui les rapporte et qui sert d'intermédiaire.
Dans un récit, elles sont subordonnées à la narration ; elles se
présentent d'ailleurs grammaticalement sous la forme d'une proposition
subordonnée ou d'un groupe infinitif prépositionnel dépendant d'un verbe de
parole.
Observons cet exemple : « L'un de nos deux marchands de
son arbre descend, court à son compagnon, lui dit que c'est merveille qu'il
n'ait eu seulement que la peur pour tout mal. » (op. cit.)
Ici, le discours indirect est introduit par la
conjonction de subordination que ; c'est le cas le
plus fréquent, cependant celui-ci peut également être introduit :
— par un mot interrogatif s'il correspond à la
transformation d'une phrase interrogative ;
Ex. : Mais qu'est ce que l'ours t'a dit à
l'oreille ? Il
lui demanda ce que l'ours lui avait dit à
l'oreille.
— par la préposition de s'il correspond à la
transformation d'une phrase injonctive.
Ex. : Explique-moi ce que l'ours t'a dit. Il
le pressa de lui expliquer ce que l'ours lui avait
dit.
2.2. La transformation du discours direct en discours
indirect
Observons cet exemple inspiré du début de la fable
l'Ours et les Deux Compagnons :
Les deux compagnons dirent à leur voisin fourreur :
« Nous allons tuer demain un ours dont nous vous vendrons la peau. »
Les deux compagnons dirent à leur voisin fourreur qu'ils allaient tuer le
lendemain un ours dont ils lui vendraient la peau.
Le discours direct mis entre guillemets dans la première
phrase a été transformé en discours indirect dans la seconde. Ce passage
entraîne ici plusieurs changements :
— un changement de personne ; les pronoms des
1re et 2e personne (nous, vous) deviennent des
pronoms de la 3e personne (ils, lui) ;
— un changement de temps ; le verbe allons
passe du présent à l'imparfait (allaient) ; le verbe vendrons
passe du futur simple au futur du passé (vendraient), conformément aux
règles de la concordance des temps ;
— un changement d'indicateur de temps
(demain est transposé en le lendemain).
3. Le discours indirect libre
Dans le discours indirect libre, les paroles sont
intégrées à la narration sans être cependant subordonnées à un verbe de
parole. Comme dans le discours direct, elles peuvent d'ailleurs présenter une
ponctuation expressive ( ? ! …) pour restituer l'intonation.
Voici un exemple : « Deux compagnons, pressés
d'argent,
À leur voisin fourreur vendirent
La peau d'un Ours encore vivant,
Mais qu'ils tueraient bientôt, du moins à ce qu'ils
dirent.
C'était le roi des ours, au compte de ces
gens.
Le marchand à sa peau devait faire fortune
;
Elle garantirait des froids les plus cuisants
:
On en pourrait fourrer plutôt deux robes
qu'une. » (op. cit.)
Dans le passage mis en italique, le narrateur rapporte
les paroles qu'ont prononcées les deux compagnons pour persuader le fourreur de
leur acheter la peau de l'ours avant qu'ils ne l'aient tué ; la personne et le
temps des verbes sont en phase avec le reste de la narration, les paroles sont
donc rapportées indirectement ; cependant, comme elles ne sont pas subordonnées
à un verbe de parole, on a bien affaire à du discours indirect libre.
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