La tragédie
La tragédie met en scène des personnages illustres
déchirés par des passions ou accablés par le destin. Elle suscite pitié et
terreur chez le spectateur.
Comment fonctionnent les tragédies grecques ? Quelles
sont les principales règles régissant la tragédie classique ?
1. Un peu d'histoire
1.1. La tragédie grecque
La tragédie est née en Grèce, sans doute au vie siècle av. J.-C. : au
cours de fêtes données en l'honneur de Dionysos, les grandes Dionysies, le tyran
Pisistrate institue à Athènes un concours de tragédies (534 av. J.-C.).
La tragédie grecque est un spectacle en plein air
composé de chant choral, de danses et de dialogues. Le
chœur, qui comprend une quinzaine de personnes, chante, danse et commente
l'action. Les acteurs, au nombre de trois, portent des masques (ils peuvent être
amenés à tenir plusieurs rôles) ; l'acteur le plus important, le protagoniste,
joue les grands rôles.
Les trois plus grands dramaturges grecs, Eschyle,
Sophocle et Euripide, ont vécu au ve siècle av. J.-C. Tous
trois ont privilégié l'action, aux dépens du chant.
La plus ancienne tragédie qui nous soit parvenue est
écrite par Eschyle (les Suppliantes, env. 490 av. J.-C.). De celui-ci,
nous n'avons conservé que sept pièces, notamment les Perses et la
trilogie de l'Orestie. Des cent vingt-six pièces qu'on attribue à
Sophocle, soixante-douze au moins furent couronnées ; il n'en reste que sept
(Antigone, Œdipe roi, Électre, etc.). Euripide a
vécu une époque de défaites pour Athènes et de décadence pour la tragédie. Nous
avons conservé six de ses pièces (Iphigénie à Aulis, Alceste,
Électre, Andromaque, les Troyennes, Hélène).
Dans les pièces d'Eschyle, les héros ne sont que des
instruments entre les mains des dieux ; ils luttent en vain contre la
fatalité du destin. Chez Sophocle et Euripide, les hommes ont davantage de
responsabilité dans la conduite des événements et les malheurs qu'ils
provoquent.
1.2. La tragédie classique
Le modèle de la tragédie classique s'est établi en
France dans la seconde moitié du xviie siècle,
par opposition au modèle espagnol. Les sujets des pièces espagnoles étaient
alors modernes, avec des décors variés ; le comique et le tragique s'y mêlaient
(Corneille est l'héritier de ce modèle dans le Cid).
Dans la tragédie classique, l'intrigue est simple et se
déroule dans un lieu unique, en une seule journée : c'est la règle des trois
unités. Écrite en alexandrins, la pièce s'organise en cinq actes :
l'exposition (acte I), la progression de l'action (actes II et III), retardée
par l'acte IV, puis le dénouement malheureux (acte V).
Les meilleurs représentants de la tragédie classique
sont sans nul doute Pierre Corneille et Jean Racine. Corneille a
le plus souvent choisi ses sujets dans l'histoire romaine (Horace,
Cinna, Nicomède, Suréna, etc.). À l’exception de
Britannicus, Bérénice et Bajazet (dont le sujet est
oriental), Racine s'est davantage inspiré de légendes grecques
(Andromaque, Iphigénie, Phèdre).
1.3. Le drame
Au xixe siècle, à l'imitation de
Shakespeare (que l'on commençait à jouer en France), Victor Hugo a écrit des
drames (Hernani, Ruy Blas, Lucrèce Borgia, etc.).
Tragique et comique, sublime et grotesque y sont mêlés. Les unités de temps et
de lieu ne sont pas respectées, car considérées comme trop artificielles.
1.4. La tragédie au xxe siècle
Une meilleure connaissance de la Grèce a ravivé le goût
pour l'art et la littérature grecs. Par ailleurs, l'histoire extrêmement
violente du xxe siècle
a ranimé une interrogation angoissée sur la condition humaine.
C'est pourquoi sans doute ont été écrites en ce siècle des tragédies à sujet
antique : La guerre de Troie n'aura pas lieu et Électre de Jean
Giraudoux, Orphée et Bacchus de Jean Cocteau, Antigone
et Eurydice de Jean Anouilh.
2. Les caractéristiques de la tragédie
2.1. Le sujet des tragédies
Les dramaturges grecs choisissent généralement pour
intrigue des légendes héroïques (connues du public). De la même façon, la
tragédie classique privilégie les sujets antiques. Les héros de tragédie
sont donc distants du public : ils n'appartiennent pas tout à fait au même
monde.
2.2. Le héros tragique
Cette distance est encore accentuée par la condition
sociale des personnages de tragédie : tous sont illustres, issus de la noblesse.
Agamemnon (dans Iphigénie de Racine), Pyrrhus (dans Andromaque de
Racine) et Créon (dans Antigone d'Anouilh) sont rois ; Auguste (dans
Cinna de Corneille), Titus (dans Bérénice de Racine), Néron (dans
Britannicus de Racine), empereurs ; Andromaque, Iphigénie et Antigone,
princesses. Les malheurs qui frappent ces êtres « exemplaires » n'en sont
que plus édifiants pour le commun des mortels.
2.3. Le dilemme
Les héros vivent des situations déchirantes. Pour
que soufflent les vents et que la flotte grecque gagne Troie, Agamemnon doit
sacrifier sa fille, Iphigénie. Andromaque voit quant à elle mourir son fils si
elle n'épouse pas Pyrrhus.
Les personnages sont généralement pris entre leurs
passions et la question du pouvoir, du rang à tenir. Tout au long de la pièce,
ils tentent de résoudre ce dilemme (à travers des monologues ou de longues
tirades), alors que le spectateur sait que l'issue en sera malheureuse.
Chez les Grecs, le destin est le plus fort : les
malheurs punissent parfois une faute commise par un ancêtre (Eschyle,
l'Orestie).
Dans la tragédie classique, ce sont les passions
qui aveuglent les hommes et les rendent malheureux : ainsi, dans
Andromaque, Oreste assassine Pyrrhus par amour pour Hermione (cette
dernière lui reproche ensuite d'avoir commis ce meurtre) ; dans Phèdre,
l'héroïne, jalouse, perd Hippolyte aux yeux de son père, qui le maudit et
provoque sa mort.
2.4. L'ironie tragique
De cette impuissance naît l'ironie tragique. Les héros
sont écrasés par la fatalité : leurs efforts sont vains, et le public en est
conscient.
Le pathétique est provoqué par le décalage entre les
espoirs du héros, qui tente d'échapper à son destin, et la conscience
qu'a le spectateur de la vanité de ces efforts.
Le dénouement est généralement malheureux : à la fin
d'Andromaque, Hermione et Pyrrhus sont morts et Oreste sombre dans la
folie. À la fin d'Antigone, l'héroïne est condamnée à mort, Hémon, son
fiancé, se suicide, la Reine aussi et Créon reste seul. Les personnages
tragiques inspirent à la fois terreur et pitié.
2.5. La catharsis
L'ambition de la tragédie, chez les Grecs comme pour les
classiques, est de montrer des personnages qui se perdent pour avoir défié les
Dieux ou s'être laissés submerger par leurs passions. Leur destin tragique nous
dissuade de suivre leur exemple. D'autant qu'en nous identifiant au héros, nous
avons, à travers lui, éprouvé ces terribles passions : au cours de la
représentation tragique, nous subissons une sorte de « purification »
(catharsis en grec) qui nous libère des tentations les plus dangereuses.
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