Réalisme et naturalisme
Au sens propre, le réalisme est un mouvement artistique
qui apparaît en France au xixe siècle et dont le projet
est de contraindre l'art à représenter la réalité. Quelles sont les
caractéristiques de ce mouvement ? En quoi la notion de « réalisme » n'est-elle
pas sans ambiguïté ?
1. Quelles idées nouvelles sont à l'origine du
réalisme ?
Ce courant littéraire apparaît en réaction contre le
romantisme qui a marqué le début du xixe siècle. En peinture
comme en littérature, le réalisme part en guerre contre le double idéalisme du
« moi » et de l'art. Rejetant les sujets « nobles » et l'expression effusive des
sentiments de l'âme qui caractérisaient le romantisme, les écrivains réalistes
se donnent pour but de représenter fidèlement la société de leur temps,
même dans ses détails les plus sordides. C'est, par exemple, le projet de Balzac
lorsqu'il s'attelle à la Comédie humaine, vaste cycle romanesque qu'il
veut « le plus grand magasin de documents que nous ayons sur la nature
humaine ».
Le naturalisme, avec Zola comme figure de proue,
s'inscrit dans le prolongement de ce réalisme militant. Il entend dresser le
constat de la subordination de l'homme à son milieu, en décrivant la réalité
humaine partout où on la trouve : le roman naturaliste explore donc les
couches populaires (l'Assommoir), le prolétariat (Germinal), les
milieux de la prostitution parisienne (Nana) ; il scrute aussi tous les
états du corps, la transformation des hommes pétris par la foule, les failles du
psychisme, etc.
Taxés d'immoralité par bon nombre de leurs
contemporains, les réalistes défendent avec force leurs romans : « un roman est
un miroir qui se promène sur une grand-route. Tantôt il reflète à vos yeux
l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l'homme qui
porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d'être immoral ! Son miroir
montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin
où est le bourbier, et plus encore l'inspecteur des routes qui laisse l'eau
croupir et le bourbier se former. » (Stendhal, le Rouge et le Noir)
2. En quoi le projet réaliste est-il
« scientifique » ?
« Aujourd'hui que le Roman s'est imposé les études et
les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les
franchises », écrivent les frères Goncourt dans la préface de Germinie
Lacerteux. De même Zola, pour défendre Thérèse Raquin, son premier
roman, affirme que son « but a été scientifique avant tout ». Fascinés par
les progrès scientifiques de leur époque et en particulier par la
nouvelle science du vivant dont Claude Bernard formule les principes, les
écrivains réalistes entendent donner à la littérature une nouvelle
mission.
Élaboré selon des méthodes scientifiques (c'est-à-dire
objectives), le roman doit être considéré comme un laboratoire : les
personnages sont les cobayes, le romancier-théoricien est l'expérimentateur et
l'histoire est l'expérience que l'on étudie. Les romans de Zola, en particulier,
s'efforcent d'exhiber des lois scientifiques à partir de l'observation du
réel. Ces lois sont, d'une part, celles de l'hérédité (c'est la folie de
la tante Dide qui pèse ensuite comme une tare sur le psychisme de tous les
membres de la famille, s'exprimant dans la violence ou dans l'alcool), d'autre
part, celles de la société (les intérêts économiques déterminent les
hommes). Cette dimension est manifeste dans la définition générale que donne
Zola de son cycle des Rougon-Macquart : « Histoire naturelle et sociale
d'une famille sous le second Empire » ; dans ce sous-titre les deux aspects du
naturalisme sont bien présents, naturelle évoquant l'hérédité et
sociale,la détermination économique.
3. Quelles sont les techniques employées pour
reproduire fidèlement la réalité ?
Soucieux d'authenticité, la plupart des romanciers
réalistes s'appuient sur une abondante documentation qui leur permet de
décrire un milieu de façon rigoureuse et précise. Ainsi, avant de se lancer dans
l'écriture de Germinal, Zola enquête sur le monde de la mine : il se rend
dans le bassin houiller du Nord de la France. Il assiste à une grève, se
renseigne sur le socialisme (en assistant à des réunions), interroge des
médecins sur les maladies liés à la mine, visite des corons et descend même dans
la fosse. C'est cette méthode scientifique d'investigation qu’il adopte
afin de peindre fidèlement la réalité. Et, de fait, l'effet de réel naît bien de
l'usage de termes techniques, de la transcription du langage des mineurs, de la
peinture rigoureuse et « objective » des hommes et de leur activité.
La description devient le mode d'expression privilégié
du romancier réaliste : elle permet tout à la fois de « faire voir » et d'ancrer
l'histoire dans la réalité.
« Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Étienne, qui
s'oubliait devant le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait,
retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le
beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle
carrée de la pompe d'épuisement. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec
ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne
menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour
manger le monde. » (Zola, Germinal)
4. En quoi la notion même de réalisme est-elle
ambiguë ?
Le projet réaliste en lui-même est ambigu à plusieurs
titres. En effet, tout travail d'écriture nécessite inévitablement de prendre
une distance par rapport à la réalité, ne serait-ce que parce que le
romancier fait des choix subjectifs, met en valeur certains aspects de la
réalité plutôt que d'autres et donc ne la restitue pas vraiment telle qu'elle
est. Ainsi, des pans entiers la vie réelle ne contiennent rien qui puisse
intéresser un récit : ne pas en rendre compte, c'est donc déjà tricher avec
le réel. « Le réaliste, s'il est un artiste, cherchera, non pas à nous
montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus
complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même. Raconter tout
serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour
énumérer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre
existence. Un choix s'impose donc, ce qui est une première atteinte à la théorie
de toute la vérité. » (Maupassant, Préface de Pierre et Jean)
Le romancier retravaille et modèle la réalité en
fonction de sa vision du monde : le miroir qu'il utilise pour refléter le
monde réel est, par essence, déformant. L'idéal d'objectivité et de description
scientifique du monde apparaît alors comme une illusion. Même Zola, par son
style, son talent d'écriture, la portée symbolique de ses descriptions, tire son
œuvre vers le mythe.
La citation
« Ah ! sachez-le : ce drame n'est ni une fiction, ni un
roman. All is true, il est si véritable, que chacun peut en reconnaître
les éléments chez soi, dans son cœur peut-être. » (Balzac)
|