Les différents procédés de réécriture
Tout texte littéraire est une réécriture plus ou moins
consciente des modèles préexistants, la logique de l'imitation étant alors
considérée comme le cœur du processus de création littéraire. Toutefois, il
existe de nombreux textes qui, consciemment, s'efforcent d'en réécrire d'autres
en faisant varier le degré de proximité avec le modèle original. Pastiche,
parodie ou transposition, quels sont les différents procédés de
réécriture ?
1. Que signifie « réécrire » un texte ?
Un texte abouti est toujours le produit d'une
réécriture : brouillons, variantes, résumés attestent de cette démarche de
l'écriture qui s'appuie sur elle-même tout en se reniant par des ratures. Au
fil des remaniements de son texte, l'auteur peut procéder par
amplification - le texte est enrichi par des exemples, certains passages
sont développés, etc. - ou par réduction - le texte est condensé, ce qui rend le
style plus elliptique.
Dans une logique d'argumentation, la réécriture
peut aussi permettre d'aborder une thèse sous un angle nouveau, d'insister sur
certaines idées ou d'en proposer une synthèse. Dans tous les cas, la réécriture
est une appropriation et une transformation de sources
préexistantes.
2. Qu'est-ce qu'un pastiche ?
Le pastiche est une forme de réécriture qui consiste à
imiter un texte, à s'en approcher le plus possible, tout en feignant de
ne rien transformer. L'auteur s'attache le plus souvent à imiter le style d'un
écrivain, ce qui suppose de savoir identifier puis reproduire les
caractéristiques uniques de son écriture. Le pastiche est donc en quelque sorte
un acte critique, qui s'appuie sur une analyse littéraire fine.
Par ses pastiches célèbres de Honoré de Balzac ou de Gustave Flaubert, Marcel
Proust a permis d'envisager leur style sous un jour nouveau (Pastiches et
mélanges, 1919).
Le pastiche n'a d'intérêt pour le lecteur que s'il est
d'emblée reconnaissable : il doit donc accentuer un peu les singularités
d'un auteur, souligner ses « tics » d'écriture. Cette légère amplification
confère parfois à la réécriture une dimension ironique : en ce sens, on
peut dire que le pastiche s'inscrit dans une visée ludique.
3. Qu'est-ce qu'une parodie ?
La parodie consiste à réécrire un texte dans un
but comique. Pour faire rire le lecteur, l'auteur joue avant tout sur le
décalage avec l'œuvre de départ ; une parodie est d'autant plus
provocatrice - donc efficace - que l'œuvre initiale est connue de tous et
instituée comme chef-d'œuvre. Toutefois, comme il s'agit d'un genre bien balisé
(très répandu notamment au xviie siècle), l'effet de
subversion reste limité.
La parodie peut s'appuyer sur la transformation :
- d'un genre noble en un genre bas (par exemple de la tragédie à la farce ) ;
- d'un registre de langue élevé en un registre familier ou grossier ; c'est le
cas, au xviie siècle,
du Virgile travesti de Scarron, qui reprend L'Énéide, épopée
antique de Virgile ;
- de personnages héroïques en anti-héros (comme dans Ulysse de James
Joyce en 1922).
Une œuvre morale peut également être réécrite de
façon à choquer la morale : Ubu roi, d'Alfred Jarry (1896), reprend dans
ce sens Œdipe roi de Sophocle.
Ainsi, la parodie semble reposer avant tout sur une
hiérarchie des genres, des tons et des motifs littéraires, qui appartient
plutôt au passé.
4. Qu'est-ce qu'une transposition ?
La réécriture par transformation, lorsqu'elle n'a pas de
but comique, est la transposition littéraire. Il ne s'agit ni d'imiter ni de
dégrader un texte initial, mais d'en proposer une adaptation
nouvelle.
Un certain nombre de caractéristiques peuvent ainsi
varier :
- la langue : il s'agit des différentes traductions d'une œuvre ;
- la forme : par exemple le passage de la prose au vers
(Baudelaire réécrit ainsi dans ses Petits Poèmes en prose certains de ses
poèmes en vers des Fleurs du Mal) ;
- le genre : par exemple du théâtre au roman ou du roman au
cinéma (Une partie de campagne de Guy de Maupassant est transposée au
cinéma par Jean Renoir) ;
- le point de vue : par exemple, le narrateur omniscient fait place à
une narration à la première personne du singulier ;
- le registre de langue ;
- l'époque : Jean Anouilh réécrit ainsi l'Antigone de Sophocle
en situant l'action au xxe siècle ;
- le système de valeurs : nombre de tragédies du xviie siècle reprennent des
thèmes de l'Antiquité en substituant des valeurs religieuses aux valeurs
politiques.
5. Le mythe est-il une réécriture ?
Le mythe a pour principe de n'appartenir à aucun auteur
en propre, parce qu'il ne cesse d'être reformulé et réinterprété.
Il ne s'agit pas de réécrire une œuvre particulière, mais une histoire dont
l'origine reste obscure et qui semble se raconter depuis toujours. Le mythe de
Don Juan, par exemple, a inspiré des auteurs de toutes les nationalités et de
tous les siècles depuis la Renaissance : Molière, Byron, Pouchkine et bien
d'autres.
Chaque nouvelle écriture du mythe entre elle-même dans
le mythe et participe de sa recréation infinie. Les personnages et
l'intrigue deviennent une sorte d'œuvre commune, collective, que chacun
traite suivant ses intentions. Le mythe n’est pas considéré comme une réelle
réécriture, dans la mesure où son point de départ n'est pas une œuvre, mais une
pure matière fictive. Au Moyen Âge, la majeure partie des écrivains
utilisaient ce que l'on appelle la « matière de Bretagne », c'est-à-dire les
légendes de la cour du roi Arthur.
La citation
« Bien qu'en donnant sur des pastiches la moindre
explication on risque d'en diminuer l'effet, je rappelle pour éviter de froisser
les légitimes amours-propres, que c'est l'écrivain pastiché qui est censé
parler, non seulement selon son esprit, mais dans le langage de son temps. »
(Proust, Pastiches et mélanges.)
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