Le théâtre
Une pièce de
théâtre est destinée à être
jouée par des acteurs sur scène, dans un temps
limité. De ces contraintes se dégage une écriture
proprement théâtrale. À quelles règles un
texte de théâtre obéit-il ? Peut-on distinguer
différents genres théâtraux ?
1. Quelles sont les particularités du texte
théâtral ?
La singularité du texte théâtral tient tout d'abord au
fait que l'auteur s'y exprime uniquement à travers les paroles de ses
personnages et ne peut intervenir directement dans le dialogue. Il ne
dispose pas de la souveraine liberté du romancier qui peut détailler les pensées
des personnages, commenter l'action, etc.
De plus, le dramaturge doit tenir compte non seulement
des caractéristiques formelles imposées par le genre, mais aussi de la
vocation du texte à être joué. Bien qu'il existe de rares textes qui ne
sont pas prévus pour la scène, la plupart en effet, sont écrits avant tout en
vue de leur représentation.
Une pièce de théâtre développe trois types d'énoncé, qui
se distinguent visuellement les uns des autres par des variations
typographiques :
- les paroles prononcées par les personnages (les répliques) qui sont
transcrites sans enrichissement typographique particulier ;
- les noms des personnages qui prennent la parole ou sont présents sur
scène, sont transcrits le plus souvent en capitales d'imprimerie ;
- les didascalies, c'est-à-dire les informations relatives au lieu de
l'action, aux gestes ou déplacements des personnages, aux intonations, aux
bruits, aux costumes, etc., sont en italique.
Enfin, le texte théâtral est singulier en ce qu'il
repose sur une situation de communication originale.
- Il est d'abord le lieu de deux énonciations, celle des personnages
qui échangent entre eux et celle de l'auteur qui, à travers les didascalies,
détermine les répliques des personnages, découpe la pièce et oriente la mise en
scène.
- On y distingue ensuite trois types de récepteurs : les personnages
qui s'adressent les uns aux autres ; le metteur en scène et les comédiens, qui
interprètent les didascalies de l'auteur ; enfin, le spectateur qui est le
destinataire essentiel des informations échangées sur la scène.
Cette situation particulière porte le nom de double
énonciation : le personnage et l'auteur sont énonciateurs en même temps ; de
même, lorsqu'un personnage s'adresse à un autre (ou à lui-même, dans un
monologue), ses paroles sont aussi destinées au public.
2. Quelles sont les différentes modalités de la parole
au théâtre ?
Le texte théâtral est construit comme un long
dialogue, constitué des répliques échangées par les personnages :
la longueur des répliques, les jeux d'échos qui se créent entre elles,
renseignent souvent sur la nature des relations entre les personnages. Ainsi,
par exemple, lorsque de très courtes répliques se font suite et s'enchaînent
rapidement, on les appelle des stichomythies : ce procédé caractérise un
échange vif entre deux personnages et peut traduire une intensité tragique ou,
au contraire, produire un effet comique.
Lorsqu'un personnage prononce des paroles que les autres
ne sont pas censés entendre, il fait un aparté. Ce type de réplique est parfois
annoncé par la didascalie à part. Le spectateur, véritable destinataire
de cette parole, devient alors le complice du personnage. L'aparté rend
sensible le décalage entre ce que dit et ce que pense le personnage.
Un monologue est un discours que se tient un
personnage à lui-même. Il s'agit avant tout d'une convention théâtrale qui
permet d'éclairer une situation ou d'exprimer les sentiments profonds d'un
personnage.
Une tirade est une longue réplique qui repose le
plus souvent sur une succession de phrases complexes, de questions et
d'arguments.
Enfin, le quiproquo est un dialogue fondé au
départ sur une méprise, source d'effets comiques : un personnage ou un objet est
pris pour un autre, une phrase est mal interprétée, etc. Le quiproquo comporte
généralement trois étapes : la méprise parfaite, l'apparition progressive du
doute, la révélation de la méprise. C'est ainsi que dans le Mariage de
Figaro (Beaumarchais), le comte fait, à la faveur de la nuit, la cour à sa
propre femme qu'il prend pour Suzanne, la jeune femme qu'il désire
séduire.
« LE COMTE (prend la main de sa femme.) : Mais
quelle peau fine et douce, et qu'il s'en faut que la Comtesse ait la main aussi
belle !
LA COMTESSE (à part) : Oh ! la prévention !
LE COMTE : A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces
jolis doigts pleins de grâce et d'espièglerie ?
LA COMTESSE : (de la voix de Suzanne) Ainsi
l'amour ?...
LE COMTE : L'amour... n'est que le roman du cœur : c'est
le plaisir qui en est l'histoire ; il m'amène à tes genoux.
LA COMTESSE : Vous ne l'aimez plus ?
LE COMTE : Je l'aime beaucoup ; mais trois ans d'union
rendent l'hymen si respectable ! »
3. Qu'est-ce que l'action dramatique ?
L'action dramatique désigne la façon dont les événements
et les relations entre les personnages s'imbriquent pour faire progresser
l'intrigue d'une situation initiale à un dénouement.
La structure dramatique d'une pièce peut être analysée
selon un « schéma actanciel », c'est-à-dire une même situation
fondamentale, dont la cellule de base est la suivante : un sujet désire
un objet (ce n'est pas nécessairement un objet réel, il peut s'agir d'une
idée, d'une valeur) ; ce sujet est contrarié dans son désir par des
opposants et, en même temps, aidé par des adjuvants ; l'objet est
promis par un destinateur à des destinataires. Dans une même pièce, il arrive
que les figures varient, les fonctions restant les mêmes.
Par exemple, dans la pièce Britannicus de Racine,
le schéma actanciel peut-être analysé ainsi : le désir, la soif de pouvoir
(destinateur) pousse Néron (à la fois sujet et destinataire) à vouloir posséder
Junie (objet). Il est aidé dans sa quête par Narcisse (adjuvant) et voit
s'opposer à lui Britannicus, Agrippine, Sénèque (opposants).
4. En quoi consistent les règles classiques ?
La structure d'une pièce classique (postérieure à 1640
environ), doit respecter un certain nombre de règles pour être conforme à ce que
l'art classique appelle le Beau. Tout d'abord, le théâtre s'impose la règle
des trois unités :
- l'unité d'action (une seule action principale que soutiennent
éventuellement des actions secondaires) ;
- l'unité de temps (pour renforcer l'intérêt dramatique, l'action ne
doit pas dépasser 24 heures) ;
- l'unité de lieu (l'action prend place en un seul lieu, plutôt un
palais pour la tragédie et un intérieur bourgeois pour la comédie).
Par ailleurs, une pièce doit respecter la
vraisemblance : ce qui se passe sur scène doit rester crédible, ce qui,
bien souvent, semble incompatible avec les exigences de la tragédie qui donne à
voir des êtres hors du commun (issus de la mythologie, par exemple). Enfin, le
théâtre classique impose la règle de la bienséance qui proscrit tout ce
qui pourrait être de nature à choquer le spectateur (sang, grossièretés, etc.) :
dans une tragédie classique, un meurtre a toujours lieu hors-scène.
En règle générale, l'action théâtrale est organisée
autour de quatre temps forts :
- l'exposition (concentrée dans les premières scènes de l'acte I) qui
précise la situation initiale en renseignant sur le lieu, le temps, les
personnages et leurs relations ;
- le nœud de l'intrigue (actes II et III) qui correspond à l'ensemble
des conflits qui gênent la progression de l'action et sont autant d'obstacles à
la volonté des héros ;
- les péripéties (acte IV) qui infléchissent le cours de l'action et
retardent ou modifient le dénouement attendu ;
- le dénouement (acte V) qui marque la résolution définitive du
conflit. Heureux dans la comédie, il est le plus souvent marqué par la mort dans
la tragédie. Idéalement, il doit résulter de la logique de l'action elle-même et
éviter les interventions peu crédibles.
5. Quels sont les principaux genres et registres
théâtraux ?
En réaction contre le théâtre baroque (xvie siècle) qui affectionne
les tragédies spectaculaires, multipliant les péripéties et les coups de
théâtre, le xviie siècle entreprend de
codifier le genre, établissant les règles de la tragédie classique. Cette
dernière met en scène des personnages nobles et héroïques qui tentent de faire
face à la fatalité qui les conduit le plus souvent à la mort ou au malheur. Elle
reprend le mot d'ordre d'Aristote et de la tragédie antique en se voulant
catharsis : évacuation des passions néfastes par le biais d'un spectacle
qui inspire à la fois « terreur et pitié ».
La comédie, florissante aux xviie (Molière) et xviiie siècles (Beaumarchais,
Marivaux), se caractérise par quatre traits principaux : ses sujets sont tirés
de la vie quotidienne ; ses personnages sont de condition moyenne
et fortement individualisés (ce ne sont pas des caricatures) ; son dénouement
est heureux ; l'effet produit sur le spectateur peut aller du sourire au
rire. Les procédés comiques sont variés : comique de mots ou de gestes
relevant de la farce (Molière, les Fourberies de Scapin), comique de
situation, comique de caractère dans la satire sociale ou la peinture des grands
défauts humains (Tartuffe, les Femmes savantes,
l'Avare).
On appelle tragi-comédie une forme mixte qui
échappe aux règles de la tragédie classique par son dénouement heureux.
D'appartenance baroque, elle privilégie le mouvement, le goût de
l'illusion et le mélange des genres. Le Cid de Corneille, par exemple,
est une tragi-comédie.
La commedia dell'arte est née en Italie et a été
introduite en France au xviie siècle. Genre
populaire, elle repose sur l'improvisation des acteurs à partir d'un canevas
initial. Elle oppose des personnages stéréotypés, reconnaissables à leur costume
et à leur masque : Arlequin, Colombine, Pantalon.
Le drame bourgeois, né au milieu du xviiie siècle, se situe entre
la comédie et la tragédie. Il insiste sur la condition sociale et les problèmes
liés à la famille et à la réalité économique, plutôt que sur la peinture des
caractères. Son objectif n'est pas de susciter l'horreur ni le rire, mais
l'émotion qui naît du combat, suivie de la victoire de la vertu contre le
vice.
Le drame romantique est le fruit d'une
contestation, par la génération romantique menée par Victor Hugo, de toutes les
règles établies : rejetant la séparation des genres et les règles classiques, il
montre la complexité de l'être humain. Il se caractérise par une action
foisonnante et une utilisation de tous les registres, du sublime au
grotesque.
Au xxe siècle, enfin, rompant
avec l'ensemble de la tradition théâtrale, quelques auteurs, dont Ionesco (la
Cantatrice chauve) et Beckett (En attendant Godot), initient le
théâtre de l'absurde : leurs œuvres contestent les notions de personnage,
d'action et de genre, pour mieux mettre en évidence l'absurdité du monde.
L'espace scénique est recomposé (il n'est pas rare de voir les personnages
descendre dans la salle) ; les dialogues proposent une nouvelle forme de
communication, centrée sur le silence, l'incompréhension.
La citation
« Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes
les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but
n'a pas suivi un bon chemin. » (Molière, la Critique de l'École des
femmes).
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