La mobilité sociale
Une société de castes, fondée sur la reproduction d'une hiérarchie héréditaire (transmission du statut et des métiers), refuse la mobilité sociale. Inversement, en principe, une société démocratique se veut ouverte et fait de la mobilité une valeur essentielle : reposant généralement sur le mérite individuel (les meilleurs ont les meilleures places), elle est l'expression de l'efficacité et de la justice. À ce titre, une société démocratique se doit d'offrir à chaque nouvelle génération un accès égal à toutes les positions sociales, ce qui est rarement le cas dans la réalité.
1. Qu'est-ce que la mobilité sociale ?
Une société stratifiée distribue de façon inégale les droits et les devoirs entre les diverses strates sociales, d'où l'existence d'une hiérarchie sociale qui peut être pluridimensionnelle (économique, culturelle, etc.). De nombreux types de stratification peuvent être créés selon que l'on distingue les revenus, les patrimoines, les professions, le prestige, l'âge, etc.
La mobilité sociale désigne le passage d'une strate à une autre. Elle concerne un individu (mobilité intragénérationnelle) ou deux générations (mobilité intergénérationnelle).
La mobilité sociale est ascendante lorsque l'individu passe d'une strate à une autre supposée supérieure (le fils d'une assistante sociale [profession intermédiaire] devenant cadre supérieur). La mobilité sociale est descendante lorsque l'individu « régresse » dans l'échelle sociale (le fils d'un agent de maîtrise occupant un poste d'ouvrier qualifié).
La mobilité totale désigne l'ensemble des changements de strates (qui peuvent être volontaires ou imposés).
La mobilité structurelle désigne les mouvements entre catégories sociales qui résultent de la modification des places à pourvoir d'une génération à l'autre. Ces mouvements sont en quelque sorte forcés en raison des transformations de l'appareil productif. Ainsi, lorsque la PCS d'agriculteurs perd la moitié de ses effectifs, les enfants d'exploitants agricoles doivent rejoindre d'autres PCS : ouvriers, artisans, etc. De même, les enfants d'ouvriers seront de moins en moins ouvriers eux-mêmes en raison du déclin de certaines activités industrielles (textile, sidérurgie) ou d'une forte substitution capital/travail (secteur automobile).
La mobilité nette (ou non structurelle) est la différence entre la mobilité totale et la mobilité structurelle. C'est la plus conforme à l'idéal de mobilité puisqu'elle ne résulte pas des transformations des structures économiques et sociales.
Les tables de mobilité (table de destinée et table de recrutement) permettent de quantifier les changements de position intergénérationnels. Leur lecture demande de la prudence : la stabilité apparente peut être une régression sociale (un instituteur fils d'instituteur apparaît stable alors que ce métier a perdu en prestige). L'autre limite des tables est qu'elles ne fournissent pas de données sur les individus. Or, un agriculteur fils d'agriculteur marié à une institutrice connaît une forme de promotion sociale, comparé à un agriculteur fils d'agriculteur marié à une employée de mairie.
2. Comment Pierre Bourdieu analyse-t-il la mobilité sociale ?
Selon Pierre Bourdieu, l'hérédité sociale et la reproduction des structures de classe passent par la transmission du capital sous diverses formes.
Le capital économique favorise l'hérédité sociale chez les commerçants et les industriels. Les enfants héritent de l'outil de travail, ce qui fait de la transmission du patrimoine économique un élément clé de la transmission du statut socio-économique et de la place dans la société.
Le capital culturel favorise une hérédité sociale dans les métiers à forte composante intellectuelle où l'accès se fait sur titres scolaires. Cela est vrai pour les enseignants qui peuvent aider leurs enfants par un soutien scolaire efficace, mais cela joue aussi dans des familles de médecin, d'avocat, etc., où les héritiers bénéficient d'une immersion culturelle et d'une socialisation adaptée.
Le capital social désigne les autres ressources qui valorisent le capital économique et le capital culturel. Transmis par la famille, l'habitus, composé des manières d'être (l'aisance ou la gaucherie) et des savoirs sociaux (culture générale, formules de politesse), facilite l'entrée dans certains milieux où l'argent et le diplôme seuls ne sont pas suffisants. Le capital social associe la culture, le « savoir-être » et le « relationnel ».
3. Quelle est l'analyse de Raymond Boudon ?
Raymond Boudon applique la logique du marché et du calcul rationnel à la mobilité sociale. Un individu essaie d'optimiser sa position sociale, c'est-à-dire d'en retirer le plus grand bénéfice. Tout individu disposera d'autant plus de droits et de privilèges qu'il apporte à la société des qualités demandées (le sportif peut être mieux payé qu'un médecin ayant fait de longues études, parce qu'il attire des spectateurs et génère des recettes conséquentes).
L'individu fait des choix rationnels et compare les coûts (dépenses monétaires, temps à consacrer) aux gains attendus (gains monétaires, augmentation du prestige, etc.). Il peut ainsi se demander ce que lui rapportera une année de formation supplémentaire (augmentation de salaire ultérieurement) sachant qu'il aura d'abord un manque à gagner.
L'origine sociale modifie les comportements et les décisions. L'individu prend en compte la distance parcourue par rapport à la position sociale de ses parents. Si cette dernière est élevée, cela constitue théoriquement une stimulation plus importante. En ce sens, il y a bien inégalité des chances liée à l'origine sociale, ce qui explique en partie l'inertie sociale observée.
La citation
« Dans toute société complexe, on peut distinguer des strates ou classes composées d'individus semblables au regard de certains critères. Il est classique depuis Max Weber, de distinguer les hiérarchies sociales définies à partir du prestige (groupes de statut), les hiérarchies définies à partir du revenu (classes au sens de Weber) et les hiérarchies définies à partir du pouvoir (classes dirigeantes, élites). » (Raymond Boudon, François Bourricaud, Dictionnaire de sociologie, PUF, 1986)
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