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L'écrivain au travail
Se montrer au travail, pour un artiste, peut paraître de l'exhibitionnisme. Le lecteur peut considérer que seul compte le roman, la pièce de théâtre, le poème qu'il découvre, puisqu'il est évident que la qualité d'une œuvre n'est pas proportionnelle à la quantité de travail qui y est attachée.

Il est pourtant très important de savoir que l'écriture est un vrai métier, qu'il n'est pas plus « facile » d'aligner des mots sur une feuille blanche que d'étaler des couleurs sur une toile. Entrer dans les secrets de la fabrication donne ainsi une profondeur nouvelle à l'art, force le respect devant ceux qui ont su, tel Flaubert, travailler pendant cinq ans à un seul roman.

1. Quelle est la part, dans l'œuvre littéraire, de l'inspiration et du travail ?

L'une des questions les plus débattues à propos de l'écriture littéraire est celle de l'origine de la création : l'œuvre est-elle le fruit d'une pure inspiration poétique ou bien seulement le produit d'un travail acharné ? La théorie de l'inspiration veut que le poète soit animé par une puissance extérieure qui le domine et lui insuffle le génie créateur. Cette conception tire son origine des Muses de l'Antiquité grecque : filles de Zeus, elles étaient censées transmettre au poète un message divin et lui donner le talent de l'exprimer. La création est alors présentée comme une « possession », idée que l'on retrouve à de nombreuses époques : ainsi, la poésie symboliste fait du poète un « voyant », seul capable de communiquer avec un monde invisible, au-delà des apparences ; de même, les surréalistes voient dans l'inconscient une force, une poussée pulsionnelle sous la dictée de laquelle se place la main de l'artiste.

À cette vision idéale et mythique de l'œuvre littéraire répond celle, plus pragmatique, de l'écriture comme travail et comme artisanat. La création consiste alors à donner forme à une matière brute grâce à une technique patiemment acquise, associée à une volonté de fer. Flaubert présente ainsi son travail comme une lutte acharnée contre tous les obstacles, un effort constant et héroïque : « Il faut une volonté surhumaine pour écrire. Et je ne suis qu'un homme. » (Flaubert, Lettre à Louise Colet)

2. Quels types d'écrits nous renseignent sur l'écrivain au travail ?

Les autobiographies des grands écrivains fournissent souvent des indications sur le travail d'écriture et la genèse des œuvres. Dans les Essais, par exemple, Montaigne se peint au travail et nous livre des éléments de sa méthode : « les mains, je les ai si gourdes que je ne sais pas écrire seulement pour moi ; de façon que, ce que j'ai barbouillé, j'aime mieux le refaire que de me donner la peine de le démêler. » Il évoque sa façon très singulière de chercher l'inspiration : « là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues ; tantôt je rêve, tantôt j'enregistre et je dicte, en me promenant, les songes que voici. » Pour mieux réfléchir, il lui faut du mouvement : « mes pensées dorment si je les assieds. Mon esprit ne va, si les jambes ne l'agitent. »

De précieuses informations sur le travail d'écriture proviennent parfois de textes composés dans ce but : Raymond Roussel publie ainsi Comment j'ai écrit certains de mes livres, Raymond Queneau s'explique sur la composition de ses ouvrages dans Bâtons, chiffres et lettres, etc. Ces témoignages d'auteurs figurent aussi dans des entrevues accordées à des publications littéraires, dans des préfaces, dans les journaux intimes ou dans la correspondance privée des écrivains (publiée, par exemple, à titre posthume).

Enfin, les chercheurs en littérature ont souvent mis au jour des brouillons, des notes, des carnets, des ébauches d'œuvres célèbres (comme les Carnets de travail de Flaubert ou ceux de Zola). Ces écrits livrent des renseignements essentiels sur les « coulisses » de l'œuvre ; ils rendent compte du travail minutieux d'orfèvre qui est fait sur le texte : phrases réécrites, passages supprimés, raccourcis ou développés, oublis réparés, noms de personnages modifiés, etc.

3. D'où naît l'œuvre littéraire ? Quels sont les éléments qui lui préexistent ?

Une œuvre ne naît pas de rien. Tout écrivain vit dans une société, utilise une langue, rencontre des gens, lit et voit d'autres œuvres que la sienne. Que son texte ait ou non une vocation autobiographique, il est donc nécessairement marqué par son environnement et son expérience personnelle. C'est ici que prend place la notion d'intertextualité : une œuvre est toujours précédée d'autres textes qui l'influencent et lui donnent une dimension particulière, comme une résonance en écho. Que l'auteur s'inspire consciemment ou non des textes qui préexistent à son œuvre, il s'inscrit toujours dans une tradition littéraire (même quand il cherche à s'y opposer).

Par ailleurs, de nombreux écrivains se documentent abondamment avant de se lancer dans la rédaction. Zola, par exemple, se livre à des enquêtes très poussées sur les milieux sociaux qu'il veut dépeindre dans ses romans : il mène des interviews, consulte des archives, visite des usines, prend un très grand nombre de notes, etc. De même, Flaubert fait preuve d'un grand souci d'exactitude et se documente en conséquence : par exemple, pour décrire l'empoisonnement d'Emma dans Madame Bovary, il s'appuie sur les nombreux traités médicaux qu'il a consultés.

4. Qu'est-ce que le style ?

L'écriture est aussi et surtout un travail sur le style. Jusqu'au xviiie siècle, on nomme « style » une manière d'écrire directement liée au genre littéraire auquel on s'essaie. Ainsi, par exemple, la tragédie et la poésie classiques imposaient un style élevé et harmonieux, qui se manifestait par exemple, dans l'usage systématique de l'alexandrin ; à l'inverse, l'octosyllabe était réservé à des genres moins nobles comme la ballade ou la chanson.

Progressivement, cependant, la notion de style a évolué pour devenir avant tout le signe d'une expression personnelle. Le style d'un écrivain, c'est sa signature, la « pâte » qui se dégage de son œuvre et qui lui est absolument propre. Plus qu'une technique, le travail sur les mots et la phrase révèle véritablement un auteur, exprime sa vision du monde et de la littérature. « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, [...] le style étant à lui tout seul une manière absolue de voir les choses. » (Flaubert, Lettre à Louise Colet)

La citation

« C'est un métier de faire un livre, comme de faire une pendule. » (La Bruyère)

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