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L'épistolaire
Dans sa définition première, la lettre est fonctionnelle, utilitaire : elle permet d'adresser un message à un destinataire et est codifiée par l'usage social. Comment cette forme entre-t-elle cependant dans le champ de la littérature ? En quoi le type de communication que permet la lettre peut-il servir les intérêts du romancier ?

1. Qu'est-ce qu'une lettre ?

Selon la définition qu'en propose le Grand Dictionnaire de la langue française de Paul Robert, la lettre est « un écrit que l'on adresse à quelqu'un pour lui communiquer ce qu'on ne peut ou ne veut pas lui dire oralement ». Elle peut combler une distance et remplir un vide affectif en tant qu'elle est une manifestation de la présence de l'autre : « Est-il possible que j'aie déjà vécu près de quinze jours sans avoir entendu parler de vous ? Ne m'avez-vous point écrit ? », demande Denis Diderot à Sophie Volland (Lettre du 14 octobre 1760).

La lettre peut aussi donner forme, grâce à la lenteur de l'écriture qui favorise la méditation, à des sentiments troubles que l'on craint de ne pouvoir exprimer oralement ; les lettres de rupture, par exemple, permettent de mettre de l'ordre, grâce à la rhétorique, dans la confusion des sentiments, sans affronter directement la présence et les répliques du destinataire.

2. Pourquoi publier des lettres ?

Lorsque l'auteur est un personnage célèbre, on attache un prix considérable à la conservation et à la diffusion - souvent à titre posthume - de ses lettres : elles constituent un document sur sa vie, son intimité, son œuvre ou sa pensée. C'est dans ses lettres que Gustave Flaubert exprime avec virulence sa haine des milieux littéraires : « Je suis tellement dégoûté des éditeurs et des journaux que je ne publierai pas maintenant [...] » (À Mlle Leroyer, de Chantepie, 5 juin 1872). On y trouve également l'expression de ses sentiments les plus profonds : « Moi, parce que tu m'aimes, tu me crois beau, intelligent, sublime, tu me prêtes de grandes choses ! Non ! Non, tu te trompes. » (À Louise Colet, 7 octobre 1846). Enfin, il commente amplement, dans sa correspondance, son travail d'écrivain.

3. La lettre appartient-elle au genre autobiographique ?

La correspondance qui, au départ, n'est pas destinée à être publiée, participe d'une autobiographie, sans en avoir la pose ; en écrivant chacune de ses lettres, Flaubert ne songeait pas à « arranger » sa vie pour le lecteur. La spontanéité, l'aspect fragmentaire et allusif de ces textes sont un élément irremplaçable pour connaître un auteur et apportent un éclairage à la fois singulier et nouveau sur son œuvre.

On y découvre parfois un personnage différent de celui qu'on croyait connaître. Ainsi, Diderot déploie à l'égard de son amie Sophie des trésors de tendresse, bien éloignés de sa philosophie matérialiste : « J'ai vu toute la sagesse des nations, et j'ai pensé qu'elle ne valait pas la douce folie que m'inspirait mon amie » (À Sophie Volland, 1er novembre 1759).

4. La lettre peut-elle avoir une visée argumentative ?

Grâce à sa forme brève, la lettre peut aussi devenir le support d'une argumentation efficace. Dans ses Lettres écrites à un provincial, Pascal exprime sa conception de la religion ; Voltaire choisit le genre épistolaire pour faire l'apologie du régime politique anglais et critiquer les institutions françaises (Lettres philosophiques ou Lettres anglaises). Le texte garde alors les apparences de la correspondance intime, mais s'adresse en réalité à de nombreux lecteurs ; l'effacement relatif du scripteur autorise d'ailleurs toutes les audaces. Dans les Lettres persanes, Montesquieu se permet par exemple de critiquer le roi de France : « Le roi de France est le plus puissant prince de l'Europe. Il n'a point de mines d'or, comme le roi d'Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu'il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. »

Dans une optique assez semblable, la « lettre ouverte », fictivement adressée à une personnalité ou à un groupe de personnes précis, permet de prendre parti, de militer pour une cause ou de dénoncer un abus, tout en portant le débat sur la scène publique. Émile Zola, scandalisé par la manière dont a été condamné le capitaine Dreyfus, adresse au Président de la République son célèbre article « J'accuse », publié dans le journal l'Aurore en 1898 : cette lettre ouverte est un pamphlet qui se donne les moyens de la plus large diffusion, en s'appuyant sur la presse quotidienne. Écrit de circonstance, réaction vive et rapide, la lettre ouverte expose son auteur, s'appuie sur sa notoriété et prend le lecteur à témoin. Ce type de publication est typique de l'écriture polémique.

5. Qu'est-ce qu'un roman épistolaire ?

Le roman par lettres ou roman épistolaire a connu son apogée au xviiie siècle ; de très grands noms de la littérature l'ont illustré, comme Pierre Choderlos de Laclos avec les Liaisons dangereuses ou Jean-Jacques Rousseau avec la Nouvelle Héloïse. Ces lettres échangées entre les personnages du roman, relèvent de la fiction la plus complète. Construction complexe et rigoureuse, le roman épistolaire permet à l'auteur, tout en se dérobant derrière ses personnages, d'affiner leur psychologie, leurs états d'âme, leurs variations d'humeur. Il les rend également plus présents au lecteur en faisant entendre leur voix. L'absence d'un narrateur extérieur à la correspondance, offre enfin la possibilité de jouer sur les silences, les non-dits, les allusions : le roman gagne ainsi en finesse et en subtilité ; le lecteur est amené à interpréter et à combler seuls les blancs du récit.

La citation

« Non, Monsieur Faber, ne cherchez pas l'insulte où elle n'est pas et si vous la trouvez, sachez que c'est vous qui l'y aurez mise. Je dis clairement ce que je veux dire ; et jamais je n'ai eu le désir d'insulter les anciens combattants des deux guerres [...]. » (Boris Vian, Lettre ouverte à Monsieur Paul Faber, conseiller municipal.)
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